Entraîneur n’est pas une profession. C’est un art. Celui de savoir gérer les hommes tout en faisant face à la multiplication des médias, l’évolution du foot et la gestion psychologique parfois capricieuse de son groupe. Onze Mondial est parti à la rencontre de Claude Puel afin d’évoquer avec lui sa consolidation du projet niçois. L’aura d’un pédagogue, le franc-parler en plus… Bienvenue dans la tête d’un coach.
– Comment jugez-vous le début de saison de l’OGC Nice ?
Globalement, le début de saison est assez satisfaisant même si on peut toujours s’améliorer. On avait fait de bons matchs amicaux et ensuite on a réussi à avoir une bonne maîtrise lors de nos rencontres face à la majorité de nos adversaires. Ce fût également le cas face à l’AS Monaco lorsqu’on était à 11 contre 11. Il y a de bonnes choses après le bémol c’est bien sur les blessures qu’on a dû subir en ce début de championnat avec des joueurs alignés qui venaient de CFA ou certains qui étaient des amateurs, mais, globalement, on a su donner une réponse satisfaisante. Après, cette volonté de produire du jeu reste toujours la même. On essaye de faire vivre le ballon comme on dit dans un championnat très dur, très dense physiquement, où les espaces sont réduits avec beaucoup de blocs défensifs et d’équipes qui procèdent en contre. On verra par la suite de la saison si ça nous donne raison.
– Cette volonté d’être ambitieux dans le jeu, de faire la différence sur attaque placée, c’est la concrétisation du projet niçois et de votre période ici ?
On ne cherche pas systématiquement à faire le jeu en attaque placée. Je considère que les équipes performantes doivent être au top sur tous les secteurs du jeu et pas seulement sur un seul. Une équipe de haut-niveau doit savoir contourner un bloc regroupé en étant patiente ; en utilisant cette notion d’attaque-placée et de construction du jeu mais en faisant aussi preuve d’une capacité à bien négocier les attaques-rapides ; savoir prendre les espaces, aller vite et faire un minimum de touches balles parce que la situation l’exige. Les équipes qui sont performantes sur toutes ces phases-là sont celles du très haut-niveau. Ici, à Nice, on a cette volonté de développer des joueurs qui répondent à ces deux aspects du jeu.
– On constate depuis le début de saison qu’avec le changement de système de jeu et des profils comme Koziello, Sery, Mendy : il y a beaucoup plus de redoublement de passes dans votre jeu. Vous avez la 4ème possession de Ligue 1 pour le moment également.
On a toujours voulu avoir la possession même les années précédentes. On a toujours été dans les 7-8 premières équipes à ce niveau-là même quand on était mal classé. Après, c’est vrai que le nouveau système qu’on utilise aujourd’hui nous aide à l’avoir un peu plus. Et puis on a aussi des profils de joueurs qui répondent plus à cette attente aujourd’hui. On a un groupe capable de redoubler les passes, de faire de bons contrôles, qui possède une bonne vision du jeu et une bonne anticipation. On a pris des profils pour jouer de cette façon qui viennent s’ajouter à ceux qu’on est en train de développer. Je prends l’exemple de Vincent Koziello : si on ne jouait qu’en attaque rapide ou sur les duels, c’est un joueur qui ne pourrait pas exister dans notre système de jeu. Mais dans la façon dont on joue aujourd’hui, il s’agit d’un joueur qui peut vraiment apporter quelque chose et on le voit depuis le début de saison. C’est pareil pour tous les « gamins » qu’on forme au sein de notre centre de formation. Nous ne sommes pas seulement axés sur le plan physique : l’intelligence de jeu, l’anticipation, la technique sont des données capitales pour nous.
– Le recrutement de Seri (en provenance de Paços de Ferreira) va dans ce sens-lÃ
Oui, mais pas seulement lui, tous les joueurs qu’on prend ici rentrent dans ce profil et ces caractéristiques. Après, il lui faut encore rajouter de la densité physique et du volume dans son jeu parce qu’on évolue dans un championnat qui est très exigeant sur ce plan-là . Mais il a déjà progressé et il passe encore des paliers. C’est un profil qu’on recherchait, qu’on voulait pour être cohérent dans notre philosophie.
– Ça vous énerve les erreurs inhérentes à ce projet de jeu ambitieux ? Comment on gère ça vis-à -vis des jeunes joueurs ?
Ça énerve peut-être d’autres personnes, mais, par exemple : on a dû jouer avec des joueurs qui venaient des catégories amateurs ou qui avaient 17 ans. C’est normal de faire des erreurs dans ces cas-là . Il faut leur apprendre comment les gommer leur donner des « clefs », bien leur parler et les corriger avec eux. Ça fait partie d’une étape de post-formation. On est l’équipe la plus jeune du championnat depuis 3-4 ans. L’année dernière, je crois qu’on était l’équipe la 2ème équipe plus jeune d’Europe derrière la Real Sociedad. Ce n’est pas rien. On est reparti sur les mêmes bases cette saison. On arrive à être performant mais bien sûr que faire jouer de jeunes joueurs ça peut nous coûter de temps en temps des buts, des points, mais à moyen terme : c’est gagnant pour tout le monde. Pour les joueurs et pour le club également. Par exemple, Jordan Amavi qui a été formé à un nouveau poste avec nous, qu’on arrive à vendre à ce prix-là (15m€, plus grande plus-value réalisée par l’OGC Nice depuis sa création), ça veut dire qu’on obtient un retour sur investissement super intéressant quelque part. C’est bénéfique pour tout le monde. C’est un projet à faire comprendre aux gens après, supporters et médias. Il peut y avoir un peu d’incompréhension mais il faut faire passer le message que les résultats sont aussi intéressants et qu’il faut insister sur cette mentalité. On a aussi pas mal de jeunes sélectionnés dans les catégories jeunes en équipe de France : ce n’est pas rien. Tout ça représente un ensemble de choses qui confirme qu’il faut continuer dans cette direction.
– Hervé Renard disait « qu’il valait mieux terminer 16ème avec de jeunes joueurs plutôt que 8ème avec de vieux briscards qui ne rapporteront jamais rien au club », qu’en pensez-vous ?
Encore une fois, le but, ce n’est même pas de terminer 8ème ; et qui dit qu’on y arriverait avec des joueurs dit confirmés ? Et puis, c’est aussi difficile d’en avoir avec notre budget… ça coûte cher ce type de joueurs. Ce qui est sûr, c’est que si on doit jouer le maintien par exemple, il vaut mieux le faire avec de jeunes joueurs qui vont pouvoir s’élever sous pression et dans la difficulté en jouant à haut-niveau qu’avec des joueurs qui n’ont pas le niveau pour jouer le haut du classement.
– C’est difficile de trouver un club qui vous accorde le temps pour mettre en place un tel projet ?
Le plus difficile, ce n’est pas de trouver un club pour ça, c’est d’arriver à partager cette philosophie. L’année dernière par exemple, avec le 12ème budget, on termine 11ème au classement et on vend un joueur pour 15 millions d’euros en sortant des jeunes en même temps : c’est bénéfique pour tout le monde. Le résultat est valable pour le club, les supporters. Après, il faut réussir à être performant en même temps et faire comprendre le but recherché. J’ai fait ça à Lyon également même si on jouait les premières places avec l’objectif Ligue des Champions en tête. On avait l’obligation d’être sur le podium systématiquement et cela ne nous a pas empêcher de sortir des joueurs comme Alexandre Lacazette, Clément Grenier, Maxime Gonalons, Jérémy Pied, Kolodziejczak… Voilà … C’est une question de volonté avant tout pour un entraîneur de vouloir conserver et surtout considérer les jeunes. Après, le staff suivant profite de votre travail et ils ne s’en plaignent pas. Ce fût le cas quand je suis parti de Lille, de Lyon, et ce sera aussi le cas ici à Nice et c’est important pour tout le club.
– Vous ne pensez pas qu’on bride le développement de certains profils de joueurs aujourd’hui en évoluant principalement avec des blocs bas ?
On va dire qu’on développe certains profils plus que d’autres, à savoir ceux de puissance et de percussion au détriment des joueurs dit « créatifs ». C’est dommage et ce n’est pas seulement un problème de formation mais aussi de conception du football. Un problème de mentalité en premier lieu.
– On manque également d’audace en France…
Je pense que les entraîneurs sont aussi un peu frileux parfois parce qu’on va leur demander des comptes alors ils sont plus dans une recherche d’efficacité. Il est plus facile de faire une équipe avec une bonne organisation défensive qui va jouer le contre que de chercher à jouer haut en s’exposant aux contres par exemple. Après, je ne veux pas trop rentrer dans ce débat parce qu’on subit une pression énorme en terme de résultat quand on est entraîneur. On va d’abord à l’essentiel et on développe surtout de jeunes joueurs qui ont des profils qui ne sont pas encore prêts à 100%. Offensivement, on a du mal à avoir des joueurs performants qui sont déjà matures : passeurs et buteurs. Alors on met en place des systèmes qui sont basés sur la prise d’espace et le physique.
– C’est difficile de convaincre un joueur offensif qu’il doit aussi participer aux tâches défensives ?
On le faisait aussi les saisons précédentes. Après, c’est un éternel recommencement parce que ce n’est pas quelque chose de naturel chez un joueur. Mais c’est ça le haut niveau : 11 joueurs qui participent à la récupération collective du ballon avec chacun un rôle bien particulier et des efforts à faire. Tout le monde doit participer.
– Y compris Hatem Ben Arfa ?
Y compris Hatem oui, il le fait, même si ce n’est pas encore naturel chez lui. Mais les joueurs ont envie de jouer ensemble, ils savent que ce n’est pas un challenge facile à relever. Ils ont envie de faire vivre ce collectif et ils savent que tout le monde doit participer au travail défensif pour pouvoir ensuite faire vivre le ballon.
– Vous n’avez pas l’envie de le « libérer » parfois pour éviter qu’il puisse manquer de lucidité quelque part…
Hatem est venu ici pour être un joueur complet justement. C’est ce qu’on lui demande : de ne pas seulement s’occuper des tâches offensives. C’est ce qui lui a posé soucis par le passé. C’est ça le haut niveau. Ça n’existe plus un joueur qui ne touche le ballon que sur l’aspect offensif. Il suffit de regarder la Ligue des Champions ou l’Europa League.
– C’est plus difficile avec ce type de joueurs ?
Ce n’est jamais évident parce que ce n’est pas naturel. Et puis ce n’est pas assez fait pendant la formation aussi. Prenez le Barça par exemple, dès 10-11 ans, ils apprennent à défendre haut, en groupe et de façon collective. Messi a été habitué à la perte du ballon à « niaker » directement comme on dit et à défendre instantanément. Je ne pense pas que ça ait bridé son potentiel offensif.
– Une différence entre la formation espagnole et la formation française réside dans le fait qu’on se focalise en France directement sur la notion de résultat sans chercher à véritablement développer l’intelligence de jeu dès le plus jeune âge. On cherche surtout à mettre en avant les résultats de ses équipes pour se « venter » quelque part… Qu’en pensez-vous ?
C’est plus un problème de pré-formation ça. En Espagne, ils sont capables de jouer, de percuter, de jouer très simple également s’il le faut. Il y a une expression technique et une recherche de qualité qui est basée sur la technique, l’intelligence de jeu, le développement du joueur au sein d’un collectif plus que sur l’expression individuelle. En France, il y a beaucoup de joueurs qui percutent également en pré-formation, qui perdent des ballons, qui prennent des espaces mais il faudrait les empêcher de temps en temps de faire la différence sur l’aspect physique pour développer en eux une véritable réflexion ainsi qu’une notion d’intelligence de jeu. Je parle par exemple de joueurs qui font la différence sur le plan athlétique en poussant le ballon, et qui sont plus grands que les autres, plus forts, plus rapides, qui s’imposent donc grâce à leur physique et qui font gagner leur équipe en enfilant 2, 3 joueurs… Plus tard, ils peuvent se retrouver en échec à l’âge adulte parce que plus jeunes, ils n’ont pas appris à résoudre les problèmes autrement que par leur condition physique. Pour moi, le vrai problème se situe ici.
– Beaucoup de coachs notent aussi que le profil « dribbleur » disparaît avec le temps. Vous ne pensez pas qu’en bridant les joueurs très tôt, on nuit sur le développement de leur esprit créatif ?
C’est complexe. Il faut apprendre aux joueurs à dribbler, à se servir de ses points forts, à jouer la tête haute. Il faut trouver le bon dosage pour qu’il puisse répondre à toutes les situations possibles. Si un joueur ne fait que dribbler, la tête dans le guidon comme on dit : il sera improductif et il va disparaître aussi. La réponse ce n’est pas de dire il faut tout permettre aux joueurs ; mais trouver le bon équilibre. C’est ça le plus difficile pour un formateur. C’est ce qui fait la différence entre un bon formateur et un formateur moyen : savoir montrer à un joueur à quel moment il doit percuter, dribbler, provoquer, ou jouer simple et donner le ballon rapidement. C’est le plus difficile à acquérir.
– Vous regardez un peu ce qui se passe en Espagne avec des équipes joueuses qui pressent haut sans forcément posséder un gros budget ? Comme le Rayo Vallecano ou encore le Celta Vigo…
Je n’ai pas besoin de voir ce qui se fait ailleurs pour savoir ce qu’on veut faire. On met notre jeu en place et puis voilà . On ne prend pas spécialement exemple sur les autres. Eux par contre peut-être. On l’espère (sourire).
– Vous souffrez de cette étiquette de coach « défensif » qui vous poursuit ?
Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Ça vient surtout de l’époque de Lille ça : personne ne regardait nos matchs, c’est simple. On a terminé 2ème et puis 3ème du championnat : les gens disaient qu’on était des bourrins qui misaient tout sur l’aspect athlétique… A l’époque, on jouait avec Mathieu Bodmer au milieu, Makoun, Keita, Odemwingie devant… des joueurs avec une vraie technique. Ensuite, Yohan Cabaye, Mathieu Debuchy, etc… Et puis cette étiquette est restée alors qu’on a terminé 2ème attaque par exemple, 2ème défense aussi c’est vrai ; derrière Lyon qui trusté tout à cette époque. 2ème attaque avec des joueurs que personne ne connaissait : elle est-là ma réponse. A Monaco, on a été champion avec l’équipe la plus jeune du championnat de tous les temps. Une équipe qui a marqué un nombre incroyable de buts. A Nice, je ne crois pas qu’on soit spécialement défensif. Vous savez, on fait des profils d’entraîneur et puis on s’arrête sur ça, les étiquettes sont difficiles à enlever. Je ne vais pas lutter contre ce genre de choses de toute façon.
– Quel regard portez-vous sur la presse française ? Vous pensez qu’on parle assez de jeu ?
Il y a de tout. Des commentaires intéressants, d’autres moins. Il y a du fond, de l’analyse, et puis surtout beaucoup de choses où on regarde juste le résultat sans réflexion. Je ne peux pas trop comparer avec l’étranger mais je crois qu’il y a plus de connaissance ailleurs parfois sur le plan analytique. Certes, il y a toujours de la « pression » mais en France je ne suis pas certain qu’on ait toujours la bonne analyse voulue.
– Vous ne pensez pas également que la façon dont on filme les matchs nuit sur le spectateur ? On favorise parfois des plans sans grande utilité…
Oui, c’est vrai, on met surtout les gestes techniques en évidence… Je suis un peu frustré par rapport au fait qu’on ne voit parfois que le ballon rentrer sur un but… Mais c’est magnifique de pouvoir suivre le départ d’une action ! Comment le but est arrivé, le processus de création ? Le cheminement est forcément intéressant. Cela met en exergue la beauté d’une action et pas seulement d’un geste. Il ne faut pas négliger l’aspect global du football. Et puis, cela ne développe pas l’esprit analytique du spectateur. C’est bien dommage. Le football, ce n’est pas seulement faire rentrer un ballon dans une cage… Après, tout dépend des pays, de la connaissance, de la culture foot. En Angleterre par exemple, on va s’extasier devant un tacle ou un retour défensif, on apprécie le foot sous cet aspect-là aussi. Ici, on va au plus court, on passe beaucoup de choses au second plan.
– Est-ce que c’est possible de jouer haut avec un défenseur lent comme Mathieu Bodmer ?
Les défenseurs lents, ça n’existe pas. Il y a le bon défenseur et celui qui est insuffisant. Un défenseur qui n’a pas une grande vitesse de course va développer plus d’anticipation et de lecture du jeu. Il devra être plus performant sur les trajectoires pour annihiler les actions adverses. Je connais maintes joueurs qui étaient « lents » en vitesse de course et qui ont fait des défenseurs énormes, internationaux avec de belles carrières.
– On entend souvent qu’il faut surtout jouer bas avec un bloc compact pourtant…
J’ai un bon exemple avec Renato Civelli. Avant mon arrivée, il jouait très bas, avec un bloc qui ne relançait jamais court, il allongeait systématiquement le jeu. Avec nous, il a appris. Ça a été difficile au départ mais il a appris à jouer plus haut. On a terminé 4ème et il a appris à jouer avec 60 mètres dans son dos. On lui a proposé autre chose et il s’est bien adapté parce que c’est un joueur intelligent. Regardez Barcelone, Piqué est rapide ? Puyol était rapide ? Vous avez la réponse à votre question. Ce sont des joueurs très très lents. Mais Barcelone jouait toujours avec 60 mètres dans son dos.
– La prochaine étape de votre jeu, c’est de parvenir à être plus efficace dans la création dans les 30 derniers mètres, être plus performant pour percer l’axe ?
On l’a fait pendant la 2ème mi-temps contre Angers. Lors de la première période, on a fait une bonne remontée du ballon avec des décalages intéressants mais on a manqué d’agressivité offensive pour aller au bout de nos actions. On a rectifié ça à la pause et on a fait une deuxième période plus intéressante. On aurait dû gagner ce match sur la physionomie de la rencontre.
– Vous pensez que vous allez pouvoir jouer aussi haut avec de jeunes joueurs face aux grosses équipes ?
Je n’en sais rien. Après, on a cette volonté de pratiquer un certain style de jeu sans rien révolutionner ou quoique ce soit. Juste prendre du plaisir dans notre championnat et faire plaisir aussi à nos supporters. On verra jusqu’où ça nous mène.
– En restant fidèle à vos principes même contre les grosses équipes justement…
Quelque soit l’équipe en face, on a cette volonté d’imposer notre style de jeu et de jouer. Après, ce ne sera peut-être pas le cas parce que l’équipe en face sera plus performante que nous. On verra ça tout au long de la saison. Je n’ai jamais, depuis que je suis entraîneur, joué en fonction de l’équipe adverse : je ne vais pas commencer à le faire maintenant. Même quand je suis arrivé à Lille, mon optique était de jouer avec des joueurs techniques. Chercher à évoluer en contre, attendre, ce n’est pas mon truc. Ça a été dur au début avec Lille les deux premières saisons mais à l’arrivée on a fini 14ème, puis 10ème, on a lancé des joueurs dans le grand bain : et on termine 2ème et puis 3ème avec ces mêmes joueurs parce qu’on a insisté pour les faire progresser dans la difficulté. On a insisté sur la progression de joueurs avec un profil technique qui avait la qualité pour se hisser à un autre niveau. On a joué le maintien avec de jeunes joueurs et si on l’avait fait avec des joueurs « confirmés » : Lille n’aurait pas existé.
– Vous pensiez faire une telle carrière en tant qu’entraîneur dès le départ ?
Je devais aller à la formation au départ. Je n’avais pas l’ambition de faire une carrière en 1ère Division, ce sont des aléas qui font les parcours parfois. Je suis pour le développement du joueur et pas seulement du « jeune » joueur. On apprend toujours, à tout âge, on peut toujours faire mieux. J’ai toujours eu ce côté de vouloir perfectionner mes joueurs, savoir leur donner des repères pour le moment présent et la suite de sa carrière. Je veux voir mes joueurs progresser avant tout. Que ça se voit dans mon équipe ou dans la prochaine. Je suis pas simplement un « utilisateur » ; je m’interdis cette fonction du type qui prend le meilleur du joueur et qui le fait partir ensuite. Pour moi, il faut savoir faire progresser son joueur avant tout. C’est ça ma philosophie.
– Vous en tirez un vrai plaisir ? Influer sur la carrière d’un joueur peut peser plus qu’un titre parfois…
Oui, bien sûr, parce que c’est un échange, c’est ça le métier : savoir développer le potentiel d’un joueur. J’ai lancé beaucoup de joueurs qui sont devenus internationaux par la suite ou titrés meilleurs joueurs de leur championnat. Ça compte pour moi. C’est un gage de travail bien fait mais ça passe au second plan parce qu’on est dans la notion de résultat de façon omniprésente. On va te demander quels sont tes résultats où quel trophée tu as gagné la plupart du temps sans regarder la globalité de ton travail.
– Vous regardez l’ensemble des matchs de vos catégories jeunes ?
Oui, bien sûr.
– Les compétitions internationales aussi ?
Non ça, je n’ai pas le temps par contre, on a un staff qui s’en occupe, c’est suffisant. Les recruteurs s’occupent de ça.
– Comment on parvient à faire que tout le monde soit sur la même longueur d’onde au sein d’un club vis-à -vis de la philosophie de jeu ?
Ça passe par beaucoup de travail vidéo et de réunion de travail collectif. On évoque les profils recherchés. Au départ, il y a énormément de distance entre les avis de chacun parce que le football reste simple mais on peut avoir des avis divergents. En chacun de nous sommeille un entraîneur. Il y a tellement d’avis possibles sur un joueur. Il faut savoir recentrer tout ça et faire partager sa philosophie pour avoir les mêmes affinités. Aujourd’hui, les joueurs qui me sont présentés ne sont plus les mêmes qu’auparavant, leur profil se rapproche plus ce que je recherche. C’est un travail de fond. Même, parfois, je regrette qu’on base trop de choses sur l’équipe-première. Le plus important, c’est que le jour où je quitterai ce club, c’est d’avoir laissé une bonne base à mon successeur. Je l’ai fait à Lille, à Lyon, je le ferai ici aussi. C’est une question de pérennité avant tout pour le club.
– Vous ne pensez pas que la presse a parfois du mal à appréhender la profession d’entraîneur ?
Oui mais après c’est un tout. C’est aussi à nous de l’intérieur à faire véhiculer les bons messages en faisant attention sans mettre seulement en avant l’équipe-première. Il faut aussi axer la communication sur les catégories jeunes. Sinon on va développer une forme de frustration et de mécontentement. Il faut trouver le bon équilibre, toujours dans la quête de pérennité de notre projet. C’est important de savoir conserver son cap malgré les critiques.
– On sait que l’OGC Nice devrait obtenir son nouveau centre d’entraînement la saison prochaine, vous vous voyez rester à long terme ici ?
On verra. Je souhaite que l’arrivée du centre d’entrainement arrive le plus vite possible, c’est important ça. Je veux voir ce projet se concrétiser, c’est très important pour moi, pour le club. C’est un centre d’entraînement, un lieu de vie des pros et pour la formation, c’est fondamental pour nous afin de passer des paliers. Ce sera un gage que le club avance au-delà des résultats de l’équipe-première. C’est important pour l’avenir du club. C’est d’ailleurs même plus important que les résultats.
– Vous êtes conscient que votre discours n’est pas forcément partagé par la majeure partie de la profession ?
Chacun son truc après. Encore une fois, j’ai un parcours un peu différent, sinueux. C’est une histoire de rencontres. Déjà à Monaco, je pars à Lille pour construire où on fait un super truc pendant 6 ans. Ensuite je vais à Lyon ou il s’agit de l’élite. Malgré ce qui s’est dit, on a eu d’excellents résultats là -bas. Je n’ai pas une pensée dite « carriériste » sinon je ne serai pas venu à Nice d’ailleurs. Je fais mon métier par plaisir. J’ai envie de faire des choses qui me plaisent. C’est un super challenge de démarrer d’en bas et d’essayer de faire l’Europe un jour. Ce serait super sympa, ça veut dire qu’on se projette également.
– Peut-on imaginer Claude Puel reprendre les rênes d’un club avec une pression du résultat comme ce fût le cas à l’OL par exemple ?
Bien sûr. Ce n’est pas derrière moi ce genre de choses. J’ai sincèrement envie de retrouver la Ligue des Champions. C’est un gros manque pour moi. J’ai connu ça comme joueur et entraîneur. J’espère que ce sera avec l’OGC Nice : ça voudrait dire qu’on a fait un long bail ensemble et qu’on aura franchi des gros paliers ensemble.
Philippe Rodier & Raphaël Cosmidis
Onze Mondial