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Amine Gouiri : « Je rattrape le temps perdu »
L'Equipe, le 09/11/2020 à 23h38
Après des années frustrantes à Lyon, l’attaquant Amine Gouiri se régale à Nice où son talent s’est imposé comme une évidence.
Avant de vivre son premier match contre Monaco avec Nice, Amine Gouiri n’a pas besoin qu’on lui explique ce qu’est un derby. L’ancien Lyonnais (20 ans) en a beaucoup connu lors de sa formation, face aux Verts, mais il a quitté cet été son club de toujours pour accéder au statut qu’on lui promet depuis l’adolescence. Avec trois buts en L1 et trois autres en Ligue Europa, des gestes de classe et une constance qui résiste à l’enchaînement des matches, l’international Espoirs dévoile un potentiel qui fait le bonheur de l’ambitieux Gym, où il trouve tout pour s’épanouir. Silencieux depuis le début de saison, Gouiri s’est livré vendredi à L’Équipe, et ses rires ont tranché avec sa réputation de grand timide.
- À votre arrivée, vous étiez souvent présenté comme la doublure de Kasper Dolberg. Étiez-vous aussi dans cet état d’esprit ?
Non, j’étais là pour m’imposer. On avait parlé avec le coach (Patrick Vieira) et Julien (Fournier, le directeur du football), ils m’avaient dit que tout dépendrait de mes prestations.
- Il fallait être fort très vite pour ne pas se laisser enfermer dans un rôle de remplaçant ?
C’était très important d’être bon d’entrée. Mon adaptation s’est passée à merveille, dans un groupe jeune où je connaissais beaucoup de joueurs. J’avais de l’appréhension en partant de Lyon mais j’ai été mis à l’aise. Tout est parfait à Nice. Dès la première semaine, on aurait dit que ça faisait deux ans que j’étais ici, même le coach me l’a dit. En plus, mon premier match amical était contre Lyon, j’étais motivé direct.
“Ici, le coach m’a mis à gauche mais il me laisse plus de liberté et c’est ce que j’aime”
- Jouer à gauche, c’est une contrainte ou ça peut devenir votre vrai poste ?
Mon vrai poste reste numéro 9, mais j’ai déjà joué à gauche à Lyon, où des entraîneurs m’avaient dit que j’étais meilleur. Ici, le coach m’a mis à gauche mais il me laisse plus de liberté et c’est ce que j’aime. Toucher la balle pour partir de loin, combiner… Avec les Espoirs, c’est pareil. Je ne suis pas frustré de jouer à gauche.
- Comment vivez-vous l’enchaînement des matches ?
Je fais tout pour être bien. À Lyon, j’avais faim de matches, et là j’enchaîne tous les trois jours, je ne vais pas me plaindre. Je pourrais même jouer tous les deux jours ! Je rattrape le temps perdu.
- Vous êtes un attaquant lyonnais, fin techniquement, qui commence sa carrière à gauche, et on pense donc à Karim Benzema. Revendiquez-vous une ressemblance ?
On m’a souvent comparé à lui. Il a commencé sur un côté, comme Lacazette, car un jeune ne peut pas jouer d’emblée numéro 9. Pour avoir du temps de jeu, on te met sur le côté. Pour jouer en pur 9, il faut avoir de l’expérience, car c’est pour moi le poste le plus dur. Sur le côté, tu touches plus de ballons, tu es face au jeu, c’est plus facile pour te mettre en confiance.
- Benzema a percé à Lyon et pas vous. Pourquoi avez-vous décidé de partir cet été ?
Il y a eu le confinement. J’en ai profité pour bien réfléchir, j’étais préparé à partir. Deux ans avant, ça aurait été plus difficile. Et Nice est venu en remplissant tous mes critères.
- En janvier, vous aviez refusé d’être prêté à Nîmes.
J’ai préféré rester à Lyon pour me battre. J’ai fait de bonnes prestations en Youth League et en N2, j’ai été récompensé en intégrant le groupe pro et il y a eu le confinement. Le prêt n’était pas une garantie, ce n’était pas l’idéal pour la suite. J’aime que ce soit bien carré.
- Avez-vous des regrets liés à Lyon ?
J’entendais les gens dire “Gouiri a eu trois coaches (Genesio, Sylvinho, Garcia), s’il ne joue pas, c’est qu’il doit avoir des problèmes de comportement, il ne doit pas bosser.” Sauf qu’on voit aujourd’hui que ce n’était pas fondé. Je pense que pour un jeune de Lyon, c’est plus dur de percer maintenant. Ils ont un effectif énorme. L’an dernier, j’avais lu dans L’Équipe que Moussa Dembélé était le joueur le plus utilisé en Europe, et je ne jouais pas. Même avant Garcia, il fallait qu’il y ait un blessé ou un suspendu, ce n’était pas par rapport au mérite de la semaine. Je n’ai pas de regrets car j’ai tout donné.
- Se dit-on qu’il est déjà tard quand on ne joue pas en L1 à 20 ans ?
Avant, quand un joueur apparaissait en L1 à 20 ans, c’était tôt. (Kylian) Mbappé et (Ousmane) Dembélé ont tout changé. Les jeunes veulent faire pareil. À 16 ans, Camavinga joue comme un mec de 25 ans mais chacun est différent. Pour moi, il était temps. Jouer encore en N2 à 20 ans ? Non. On parle de moi depuis mes 16 ans et les gens commençaient à dire que j’étais surcoté. Je me disais qu’on verrait quand je jouerais.
- L’histoire aurait été différente si vous ne vous étiez pas rompu les ligaments croisés en août 2018. Êtes-vous différent depuis ?
J’ai appris à me connaître, ça m’a fait grandir. Être plus rigoureux, bien dormir. Je vivais chez mes parents, c’était plus facile. Je n’avais pas encore joué en pro et je voulais prouver. Ça m’a motivé, j’ai travaillé avec acharnement, tout mon corps. Après l’opération, t’es allongé sur ton canapé et il faut faire attention à ce que tu manges car tu prends vite. J’entendais que je n’allais pas retrouver le même niveau, mais je voulais être encore meilleur qu’avant et c’est le cas aujourd’hui. Je me sens mieux techniquement car j’ai pris en puissance en musclant mes jambes.
“Je travaille beaucoup devant le but, mais c’est un plaisir. Je pourrais le faire quatre heures d’affilée”
- Avez-vous eu peur de rater la chance de votre vie ?
Le coach Genesio m’avait dit que j’allais entrer dans l’équipe quand je me suis blessé. Il fallait être fort mentalement, sinon c’était fini. Mais depuis tout petit, je l’ai toujours su : je serai footballeur.
- Lionel Rouxel, votre sélectionneur en équipes de jeunes, nous a dit que vous n’avez pas toujours été un grand travailleur. Quelle influence a-t-il eue sur vous ?
Avant, je pensais surtout à marquer. Ce coach a été très dur avec moi sur la phase défensive. J’ai failli ne pas aller à l’Euro des moins de 17 ans en 2017, il m’avait demandé de travailler physiquement avant la compétition. À Clairefontaine, il y avait six joueurs réservistes et j’étais dedans, je me disais que ce n’était pas possible, je venais de mettre un quintuplé ! Il voulait me piquer, et j’ai fait une très bonne prépa. Ça a été un déclic.
- N’est-ce pas difficile d’être collectif quand on doit assurer son ascension personnelle ?
Il faut penser juste. Si t’es pas sûr de marquer, et qu’il y a un coéquipier mieux placé, il faut être bête pour tirer, rater et voir tout le monde t’engueuler.
- Vous avez toujours marqué, quel que soit le niveau. Quel est le secret ?
L’instinct de buteur, c’est inné. Je travaille beaucoup devant le but, mais c’est un plaisir. Je pourrais le faire quatre heures d’affilée. Petit, mon père me disait de faire trembler les filets, car c’est ce que les clubs aiment. J’ai retenu la leçon. J’ai eu aussi Cris comme entraîneur à Lyon, il m’avait fait un entraînement individuel devant le but, il m’avait tué... Il m’avait dit en rigolant : “Si tu veux gagner beaucoup d’argent plus tard, marque des buts !” Dans les tournois d’enfants, je regardais le classement de meilleur buteur, mes concurrents, je faisais attention à tout. Mais je veux aussi être utile dans le jeu.
- Vous n’avez jamais connu le doute ?
C’est mon rêve d’enfant, alors ce n’est pas une fois arrivé en haut que je vais avoir des doutes. J’ai conscience de mes qualités, je n’ai pas de stress, contre n’importe quelle équipe. Le foot, c’est un plaisir, donc je me fais plaisir. C’est ce qui fait aussi ma force.
- C’était quand, votre dernière période sans marquer ?
(Il réfléchit). Je ne crois pas en avoir eu… J’espère que ça n’arrivera jamais !
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