RENVERSANT. L'OGC Nice a réalisé un authentique exploit en s'imposant à Monaco (4-3). Menés 3-0, à trente minutes de la fin, les Niçois ont fait plier les vice-champions d'Europe en inscrivant quatre buts en un quart d'heure. Explications de ce qui restera un des plus fous renversements de l'histoire de la Ligue 1.
"Papa, c'est quoi un derby?" On peut, sans trop avoir besoin de faire marcher son imagination, supposer que c'est l'une des questions que le jeune Michel Pastor, alors à gé de treize ans, a posées à son promoteur immobilier de père en 1953, ou peut-être en 1955, l'intéressé n'est plus trop certain de la date, le jour où il vint assister à son premier Monaco-Nice. Pastor junior avait probablement mis son costume du dimanche, parce que le fils d'un proche de la famille princière porte nécessairement un costume et qu'en ce temps-là le football se jouait le dimanche, et, pour ce qui concerne Monaco, c'était dans l'ancien stade Louis-II, mais avec un prince qui s'appelait déjà Rainier...
A l'époque, le "petit", le sans-grade même, puisque son palmarès était encore vierge de tout succès, c'était l'AS Monaco, avec ses maillots aux rayures verticales rouges et blanches, que la Fédération française avait invitée dans les compétitions nationales. Et les Monégasques s'inclinaient sur le terrain souvent, et avec respect tout le temps, devant le tout-puissant voisin niçois, alors fort de plusieurs titres et victoires en Coupe de France, ils en avaient méme un peu peur...
Un demi-siècle plus tard, Michel Pastor a grandi et la "Principauté d'opérette", dont il est devenu l'un des hommes de poids économiquement parlant, encore plus que lui. Les analystes financiers la comparent même désormais à une multinationale, pour son chiffre d'affaires et l'influence que son statut de paradis fiscal lui a permis d'acquérir. Le nom de Pastor, après avoir figuré sur toutes les constructions, s'inscrit même depuis le printemps dernier au sommet de l'organigramme de l'AS Monaco. A l'inverse, le voisin niçois a perdu de sa superbe, il a même rapetissé, faisant plusieurs fois l'ascenseur entre la Ligue 1 et la Ligue 2. Samedi soir, avant le coup d'envoi, pendant que son collègue monégasque tirait tranquillement sur son cigarillo, Maurice Cohen, le président de l'OGC Nice, les yeux écarquillés, comme s'il ne comprenait toujours pas le bonheur d'être là , face au vice-champion d'Europe, nous avouait, sans le dire trop fort, qu'il espérait surtout que son équipe n'en prenne "pas trop"...
Quinze minutes d'absence
Le bon Dieu ne l'a écouté qu'a moitié : Nice en a pris trois samedi soir et, à 0-3 après une heure de jeu, face à un Monaco qui semblait avoir fait une éloquente démonstration sur le thème "comment tuer un match", Cohen n'aurait probablement parié sa chemise que sur un score un peu moins lourd. Allez, à 3-1, il aurait eu le sentiment que l'honneur était sauf, et à 3-2, il aurait carrément bombé le torse en sortant de Louis-II. Mais voilà , en un quart d'heure de folie, comme le foot français ne nous en avait pas offert depuis août 1998 et un sensationnel OM-Montpellier (0-4 à la mi-temps, 5-4 à la fin), Nice a mis Monaco plus bas que terre, lui infligeant quatre buts et l'injure d'une défaite à domicile qu'il n'avait pas connue depuis bien longtemps devant son voisin, tant les Niçois, pour renverser le match, se sont comportés en bloc soudé, quand leurs adversaires, tellement brillants dans l'entame du match, ne parvenaient plus à aligner trois passes.
Michel Pastor avait dû apprendre en 1953 qu'un derby est un match entre deux villes proches géographiquement, mais il aura mis un demi-siècle pour comprendre le sens profond de ce mot venu de l'anglais, et il n'aura sans doute pas été le seul tant de tels renversements sont rares. Pour avoir une réponse qui, dans le fond, tient en peu de mots : un derby, c'est ça ! Un match fou, où le scénario s'embarque dans le Space Mountain, cette version moderne des montagnes russes de l'enfance de Pastor et Cohen. Où le présumé petit peut triompher du gros, surtout après avoir donné l'impression d'être six pieds sous terre. Où Nice, que certains croyaient incapable de se maintenir en L 1 après un début de saison calamiteux, devient, comme par magie, "galactique", et le mot n'est pas ici choisi par hasard. Car les Niçois ont bel et bien infligé au leader de L 1 une sorte de Monaco-Real à l'envers : quand, au printemps dernier, les Madrilènes, larges vainqueurs de leur quart de finale aller en Ligue des champions (4-2), avaient ouvert la marque à Louis-II, personne n'aurait alors imaginé la suite...
Comment cela a-t-il été possible ? Comment la citrouille niçoise de la première heure s'est-elle transformée en carrosse? L'analyse des techniciens permet de comprendre. Un peu. D'abord celle de Didier Deschamps, qui évoque "quinze minutes d'absence", en faisant fi de quelques petites alertes qui les avaient précédées. Un quart d'heure qui "efface tout ce que l'équipe a fait de bon et même de très bon pendant une heure", puisque l'entraîneur monégasque estime que cette première heure est la plus accomplie produite par sa formation depuis le début de la saison. Un but de Saviola d'entrée pour montrer qui est le patron, exactement comme contre La Corogne quatre jours auparavant, un autre d'Adebayor pour mettre le grappin sur le résultat. Après un peu plus de vingt minutes de jeu, l'évidence s'étalait sous les veux d'un public pourtant majoritairement niçois : Monaco savait tuer un match, qualité qui lui avait parfois fait défaut la saison dernière, quand son souffle, après les efforts répétés en Ligue des champions, devint plus court en Ligue 1.
Monaco n'a rien vu venir
Et quand, à l'heure de jeu, une nouvelle bévue niçoise – un dégagement raté de Grégorini – offrit un nouveau but à Adebayor, qui, en tout état de cause, confirme ses gros progrès, les chants nissarts s'éteignirent définitivement.
"Mais là , estime Deschamps, il y a beaucoup de nos joueurs qui sont arrivés dans le rouge physiquement, l'accumulation de matches sans doute". La rencontre face à La Corogne avait beau remonter au mardi précédent, elle finit par peser dans des jambes qui commencent à fatiguer au terme du premier quart du Championnat.
Comme deux trajectoires qui se croisent, Nice connut dans le même temps une réaction inverse. Déjà , à 0-2, Gernot Rohr avait été contraint de faire sortir Echouafni, blessé au genou, puis Grenet, les remplaçant par Dié, au jeu moins prévisible, et par le Lituanien Jankauskas, un joueur de taille qui devint, aux côtés du Nigérian Agali, un second "point d'ancrage" pour son attaque, ce qui transforma son 5-3-2 un peu frileux en un 4-4-2 plus audacieux. Et ce dispositif permit aux Niçois de mieux s'exprimer et de commencer à faire déjouer leurs adversaires. Après le troisième but monégasque, ils furent comme libérés.
"Déjà , à la mi-temps, on s'était dit que si on pouvait marquer un but, ça pouvait être l'étincelle qui ferait repartir l'OGC Nice, raconte Gernot Rohr. Elle est venue à 3-1 et on a vu que ce n'était pas trop tard", ajoute-t-il avec un sourire malicieux. Car cette "étincelle", amorcée par Vahirua et signée Agali, tout en réveillant les chants du kop niçois, mit carrément le feu à la maison Monaco. "Là , on n'a pas été capables de rester suffisamment solides pour préserver ces buts d'avance", analyse Deschamps. Parce que, même à 3-1, les Monégasques pouvaient tranquillement voir venir. Mais, justement, ils n'ont rien vu arriver ! Essayant de prendre les attaquants niçois au piège du hors-jeu, ils s'enlisèrent dans cette stratégie qui laissa à plusieurs reprises Flavio Roma livré à lui-même ; et ils encaissèrent un autre but d'Agali comme un nouveau coup d'assommoir. Avant d'encaisser le troisième, celui de l'"Agalisation" !
De plus en plus éprouvés physiquement, mais aussi nerveusement, les joueurs monégasques cédèrent définitivement en fin de rencontre. Et s'ils tentèrent de rassembler leurs forces pour au moins arracher un nul qu'aurait pu leur valoir un tir de Chevanton sur la transversale, juste avant le quatrième but niçois, ce fut trop souvent de manière désordonnée. Mais Deschamps, qui, joueur, a connu le désastre de France-Bulgarie 1993 avant de devenir champion du monde 1998, puis champion d'Europe 2000, sait qu'il n'y a pas que du négatif dans cet échec retentissant. "Ça prouve que cette équipe est encore jeune, perfectible et qu'il y a encore du travail" observe-t-il.
Qu'ad-il dit à ses joueurs après la rencontre ? Il élude la question : "Ce que j'avais à leur dire..." Mais il a probablement l'intention de leur en reparler, après ces quinze jours de trêve internationale qui arrivent à point nommé, "où la plupart vont être avec leur équipe nationale", et qui leur permettront "de se vider la tête, de digérer". Mais si DD estime que les Monégasques ont, "par des erreurs grossières", donné la victoire aux Niçois, il reconnaît avec lucidité qu'il peut "être en colère" après lui, car lui non plus n'a pas senti le danger venir. Pour sa part, Rohr souligne d'abord les vertus de son équipe, "à laquelle je tire mon chapeau". Mais il avoue également "être fier de nos supporters, sans lesquels l'étincelle du premier but ne nous aurait peut-être pas permis de l'emporter". Et de rappeler une anecdote datant du début de saison : "Déjà , à Bordeaux, alors que nous étions menés 3-0, nous avions réagi en marquant un but. Mais, après, on en avait pris deux de plus en contre.
"Ce piment qui fait du derby le match de l'année"
Malin, Gernot Rohr avait passé la semaine à conditionner ses joueurs, et indirectement leurs fans, autour de ce thème du derby, de la rivalité régionale avec une équipe dont les exploits européens suscitent le respect, mais aussi l'envie.
"Dans la position où se trouve actuellement l'OGC Nice, nous expliquait-il vendredi dernier, les derbys contre Monaco sont deux de nos rendez-vous les plus importants de la saison. D'ailleurs, quand le calendrier de Ligue 1 est publié, nous cherchons d'abord les dates de ces deux matches. C'est un peu notre Coupe d'Europe à nous." L'entraîneur de l'OGC Nice ne pouvait pas viser plus juste. Dans la ligne droite de ce match, les Niçois ont été littéralement portés par dix mille supporters en transe, ne cessant de hurler, sauf peut-être au plus fort de la domination adverse, "on est chez nous !". "Vous voyez, souriait Gernot Rohr, quand je disais que ce sont les meilleurs de France". Un brin de démagogie qu'il justifie : "Ils ont fait le choix de nous encourager même quand nous sommes derniers, méme quand nous perdons un match".
Même si Didier Deschamps ne veut pas l'admettre, on peut se demander si les joueurs monégasques, dont beaucoup découvrent le Championnat de France cette saison, étaient autant imprégnés de cette culture de la rivalité régionale qui a pesé dans le résultat. S'ils connaissaient le goût de "ce piment qui fait d'un derby le match de l'année", comme le résume parfaitement le capitaine niçois, José Cobos.
C'est ainsi qu'on écrit l'histoire d'un des plus fameux renversements de la L1, c'est comme ça que les Rouge et Noir ont signé un succès "qui entre dans la légende du Gym", comme le dit José Cobos, empli d'une mâle fierté. Un fameux "remonteur de mécaniques", celui-là , qui sait depuis un fameux PSG-Real que tout peut arriver tant que le coup de sifflet fanal n'a pas été donné. Mais qui reconnait aussi "ne jamais avoir connu un scénario aussi fou sur un terrain adverse". Tout simplement parce que c'est ça, un derby...
Guy SITRUK
France Football