A même pas 20 ans, le jeune gardien de l'OGC Nice possède un destin qui peut le conduire très haut. Mais qui, selon lui, passe d'abord par l'apprentissage de la L1. Surtout avec le début de saison raté de son équipe...
Il est le plus jeune des huit gardiens de la « nouvelle génération ». Et de loin : « J'aurai vingt ans le 26 décembre prochain », annonce Hugo Lloris, installé comme titulaire dans le but de l'OGC Nice deux jours seulement avant le début de cette saison. Le jeudi 3 août, à l'avant-veille du match d'ouverture des Niçois en Ligue 1, au Mans (1-0), Frédéric Antonetti l'avait convoqué dans son vestiaire, en compagnie de Damien Grégorini, jusqu'alors titulaire du poste. Et là , il leur a annoncé la nouvelle...
Lloris y était allé d'un pas décidé et le coeur serein, mû par la mâle assurance que lui confèrent ses premiers poils au menton, comme s'il savait que ça ne pouvait être que lui. Et ce fut lui.
Le fait qu'Antonetti tarde à annoncer son choix n'aurait pourtant pas dû le remplir de certitudes. Le précédent Domenech, qui avait repoussé sa décision concernant Barthez et Coupet, probablement pour laisser au Marseillais le temps de revenir à son meilleur niveau après six mois de suspension, trottait dans sa tête. « C'est vrai, j'y ai un peu pensé, avoue-t-il. Je me suis dit : " S'il tarde, c'est qu'il va peut-être mettre Damien. " »
Mais si ce natif de Nice a vu le jour sur les bords de la Méditerranée, sa trajectoire fait irrésistiblement songer à la force inéluctable de l'océan Atlantique : pour lui interdire de prendre « sa » place, autant empêcher la mer de monter.
Au départ, Hugo Lloris est doué. Très. Mais, paradoxalement, il est « né avec une raquette dans les mains, plus qu'avec un ballon dans les pieds ». Fils d'une avocate et d'un banquier ami de Maurice Cohen, lequel est alors loin d'imaginer qu'il accédera un jour à la présidence de l'OGC Nice, il inscrit ses pas dans ceux de ses géniteurs aux racines catalanes. Et ceux-ci le conduisent vers un sport adapté au statut social de la famille, le tennis, et un club niçois réputé, le TC Combes.
Petit clin d'oeil du destin, les courts sont installés à la sortie de Nice, sur la RN 202, tout près de Carros, où sont éditées... les fameuses images Panini, qui font
rêver des générations de passionnés de ballon rond ! Mais Lloris fils aime plutôt la petite balle jaune. « Parfois, on faisait des petits matches de foot entre nous, sur l'herbe, et j'allais dans les cages. J'avais déjà la prise de balle ! Sans le savoir, j'étais fait pour être gardien de but. » Le dérivatif va bientôt prendre toute la place des loisirs dans sa vie d'ado. « On me trouvait doué, j'ai choisi de faire les deux sports. »
Très vite, ses prédispositions intéressent les recruteurs du Gym. « Ils devaient avoir un oeil sur moi. On m'a demandé de faire un essai, j'y suis allé. » Nous sommes en 1997 et, pour la petite histoire, Dominique Baratelli entraîne alors les gardiens de l'équipe pro et les 18 ans. « Il m'a vu jouer et a dit aux dirigeants : " Celui-là , il faut le prendre ! " Moi, Baratelli, je ne connaissais pas trop, mais mon grand-père, qui m'avait emmené faire cet essai, c'était son époque. Il était très content pour moi. »
Son statut de Niçois lui permet de suivre une progression « à la carte ». Externe libre plutôt que pensionnaire au centre de formation. « Mes parents ne voulaient pas que je sacrifie mes études, moi non plus. J'allais en cours tous les matins, pendant que les autres suivaient l'entraînement, et je les rejoignais l'après-midi. Et après je rentrais dormir à la maison. »
« En CFA, ce n'est pas la même pression... »
Le deal avec ses parents est clair : « Ils voyaient que j'étais passioné, mais ils m'ont demandé de passer mon bac d'abord. J'ai donc jonglé entre les deux. » Sans se sentir forcé : « Je voulais passer un bac scientifique et, au centre de formation de l'OGC Nice, ils n'avaient pas de première S. Et puis, pour moi, les études ne sont pas incompatibles avec le football et, à mes yeux, c'était préférable de les suivre. Je me disais : d'abord les études et après, on voit ce qui se passe. On ne sait jamais. Même aujourd'hui, je me dis qu'on peut s'effondrer du jour au lendemain tant qu'on n'a pas le statut pro. »
Tête bien faite et bien pleine, Hugo Lloris va finir par choisir après avoir décroché son bac.
« C'était en 2003... non, en 2004 ! Et pourtant, je n'ai pas eu beaucoup de temps pour réviser : quelques jours avant l'examen, on jouait la finale du Championnat de France des 18 ans, près de Troyes. On l'a gagnée, mais dès que je suis rentré, je m'y suis mis à fond. Mais je n'étais pas seul : on était deux ou trois dans ce cas. »
L'engagement pris avec ses parents ayant été respecté, le jeune gardien se consacre dès lors à plein temps au foot, où son évolution s'accélère :
« Gernot Rohr entraînait l'équipe. J'ai commencé à aller dans le groupe comme troisième gardien, derrière Damien ( Grégorini) et Bruno (Valencony). Et à jouer quelques matches en CFA. »
Début 2005, Valencony se blesse lors d'un match en Coupe de France. Lloris est propulsé deuxième gardien. « Mon premier match sur le banc, c'était contre Lille, où j'ai retrouvé mon copain Johann Cabaye, avec qui je jouais en équipe de France des moins de 18 ans. »
Rohr limogé, Lloris est confirmé dans son rôle de remplaçant par Gérard Buscher, entraîneur intérimaire, qui a pris Valencony comme entraîneur des gardiens, puis au début de la saison 2005-06 par Frédéric Antonetti. « Là , j'étais installé dans le groupe. Mais Antonetti voulait me donner du temps de jeu. J'avais le temps de jouer en CFA, mais ce n'est pas la même pression, pas le même engagement. »
L'entraîneur niçois reconduit donc le processus désormais traditionnel : un gardien titulaire pour la Ligue 1, un remplaçant pour les Coupes nationales.
Le parcours des Niçois en Coupe de la Ligue braque les projecteurs sur ce gamin inconnu qui n'a peur de rien. Même des attaquants les plus réputés. En demi-finales, à Monaco, contre le voisin et « ennemi héréditaire », Lloris résiste au pilonnage incessant de Vieri et Di Vaio, qui ambitionnent alors d'être sélectionnés pour la Coupe du monde. « Ça a sûrement été un déclic. Le match était télévisé et j'ai eu la chance d'être décisif... même si je n'ai pas gagné le match tout seul ! Mais c'est peut-être à partir de ce moment-là que j'ai commencé à prendre une autre dimension aux yeux des gens. »
Et d'Antonetti, qui décide de l'aligner « pour quelques matches en L1, afin de préparer la finale de la Coupe de la Ligue ». Au bout du compte, Lloris disputera les cinq rencontres jusqu'au rendez-vous du Stade de France !
De ce match perdu (2-1) face à dix Nancéiens, le jeune portier azuréen garde une image forte, « celle du peuple niçois venu nous encourager au Stade de France, dans ce stade de légende. Ça, c'était vraiment impressionnant ! » La déception n'est pas oubliée, mais elle est digérée. « Une finale perdue, ça fait toujours mal, mais ce match m'a quand même permis d'acquérir de l'expérience. »
Et à Antonetti de renforcer ses certitudes. « A la reprise, au stage de Thonon, il nous a annoncé la couleur : on joue la concurrence. A partir de ce moment, et jusqu'au choix du coach, je ne me suis préoccupé que de moi. Je me disais : " II faut que je débute. " Je me préparais à jouer. » On connaît la suite. Mais celle-ci prend depuis deux mois des couleurs moins chatoyantes, avec un début de saison raté. Et des impressions globalement positives de ses entraîneurs, qui pensent toutefois qu'il a encore devant lui une grosse marge de progression. Opinion partagée par Lloris lui-même : « Dans ma tête, je me suis fixé les dix premiers matches de la saison en Ligue 1. Dix matches pour apprendre à être toujours calme, serein, pour faire mon apprentissage à ce niveau. Et après, il faudra que je fasse la différence. Que je sois décisif. »
Lorsqu'il aura complètement dompté cette « folie » qui, pour lui, est la marque des grands gardiens, Lloris prendra sûrement son envol.
Guy SITRUK
France Football