Presse :
Le succès de l'OGC Nice avive l'intérêt des politiques locaux
Le Monde, le 14/01/2003 à 15h41
En tête du championnat de France de Ligue 1, avant la 22e journée, qui devait l'envoyer à Montpellier, mercredi 15 janvier, le club rouge et noir s'est trouvé des supporteurs parmi les élus de la ville.
Nice de notre envoyé spécial
Ailleurs, on appellerait ça une vanne. A Marseille, ce serait une galéjade. Ici, à Nice, on parle de "menchounada". Son auteur est un Nissart, fin connaisseur du microcosme politique. "Pour reconnaître un élu, ce n'est pas difficile : quand il enlève la cravate et la chemise, tu t'aperçois que, dessous, il porte le maillot du "Gym", lance-t-il avec cet incomparable accent mâtiné de soleil, de nostalgie et d'un soupçon d'ironie.
Bien avant que les succès de l'Olympique gymnaste club de Nice (OGCN), promu en Ligue 1, puis relégué en National, avant d'être repêché et de dominer le championnat de l'élite, défrayent la chronique, le personnel politique de la cinquième ville de France a compris qu'il ne pouvait se contenter du rôle de spectateur.
Dès que le départ de Roberto Sensi, milliardaire italien, propriétaire de l'AS Roma, ayant racheté l'OGCN pour des raisons restées obscures, a semblé acquis, le maire, Jacques Peyrat (UMP), escorté de son premier adjoint chargé des finances, Gilbert Stellardo (UMP), homme d'influence de l'économie locale, et de son chef de cabinet, Charles-Edouard Saman, avait dé- cidé de passer à l'action. Les trois hommes demandaient à Luc Dayan, président de la société de marketing sportif WND Sport et actionnaire majoritaire de Lille (L1), d'avancer des solutions aux problèmes du club, voire de trouver un repreneur. Luc Dayan le dit : "Le club est un enjeu politique."
"Après la disparition de l'équipe de rugby, la mort du handball, le déclin du basket-ball, les difficultés du meeting d'athlétisme du Nikaïa et celles du tournoi de tennis, la municipalité ne pouvait pas se payer le luxe d'entériner la mort du "Gym"", explique Patrick Allemand (PS), premier vice-président du conseil régional Provence - Alpes - Côte d'Azur (PACA), à majorité socialiste, et conseiller général.
Voilà pourquoi, devenus rivaux en vue de l'élection municipale de 2007, Jacques Peyrat et Gilbert Stellardo, démis de ses fonctions de premier adjoint en pleine crise du football en raison de ses ambitions, ont mis leur discorde en sourdine afin de présenter aux autorités sportives l'image d'une ville unie derrière son club. L'opposition, menée par Patrick Mottard (PS), élu de la circonscription où se trouve le stade du Ray, a voté sans rechigner les subventions présentées.
ENSEMBLE MALGRÉ TOUT
De cette union de façade, l'OGCN a tiré sa force. Ensemble devant la direction nationale de contrôle de gestion (DNCG), ensemble devant la commission de conciliation du Comité national olympique et sportif français (Cnosf), ensemble devant la Fédération française (FFF), élus, dirigeants, joueurs, techniciens et supporteurs ont su convaincre. Et, pourtant, chacun tentait, dans son coin, de trouver une solution lui permettant de garder le contrôle du club et de se façonner une image de sauveur, supposée rémunératrice sur le plan électoral.
Gilbert Stellardo s'investissait personnellement (il tire sa fortune de la vente de ses cinq hôtels à un groupe italien) et parvenait à convaincre des entrepreneurs locaux. Jacques Peyrat, aidé par Luc Dayan, apportait la caution financière de Jean-Claude Perrin, promoteur de galeries commerciales. "La ville était à la recherche d'un contre-pouvoir à Gilbert Stellardo, explique le président de WND Sport, toujours au club par contrat.Ça a marché le temps de la reprise. Mais Jean-Claude Perrin a souhaité vendre ses parts, et c'est Gilbert Stellardo qui s'en est porté acquéreur. Il est désormais le patron capitalistique du club. Cette transition s'est faite tranquillement. La mairie n'a pas trop rechigné. Ça prouve la maturité des politiques. En plus, les bons résultats n'incitent pas à la critique."
"Notre union a permis la réussite. C'est tout ce que je retiens, a déclaré au Monde Jacques Peyrat. Il fallait un investisseur pour le "Gym". Il s'appelle Gilbert Stellardo ? Eh bien, va pour Gilbert Stellardo ! L'essentiel, c'est la survie du club." Quand on lui rappelle que Patrick Allemand et Patrick Mottard constatent que la municipalité n'a plus prise, aujourd'hui, sur le club, le maire répond que "la ville va construire un stade de 30 000 places" et que, au terme d'une enquête du magazine L'Expansion, "il apparaît que l'OGCN est un des clubs de l'élite qui coûtent le moins cher au contribuable".
"Même si j'y pense encore un peu, la mairie de Nice n'est plus vraiment un objectif, affirme Gilbert Stellardo, auquel Jacques Peyrat vole la vedette dans la tribune officielle, où les deux hommes se côtoient sans se saluer. Le plus important, c'est que le club soit sauvé, et par des Niçois. Que Jacques Peyrat soit gagnant en termes d'image, cela m'est égal. C'est moi qui paie. C'est moi qui dirige."
Dans ce dossier, la gauche est piégée. Patrick Mottard vote avec le maire, et Patrick Allemand est contraint de jouer les forces d'appoint en faisant adopter des subventions par la région. "Nous avons fait notre travail pour assurer la survie du "Gym"", répliquent-ils en substance. Quoi qu'il en soit, majorité et opposition se retrouvent au Ray mais chacun à sa place : tribune officielle pour les uns, latérales ou populaires sud pour les autres.
Michel Dalloni
© Le Monde
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