Rohr entre Baie des Anges et « paradis sur terre »

« C’est dégueulasse » ! Dans la bouche de Gernot Rohr, quel euphémisme. Sa colère est noire. Noire comme les galettes d’hydrocarbures qui polluent l’eau, souillent le sable, engluent faune et flore. La même colère qui empoisonne l’existence des 350 ostréiculteurs du bassin d’Arcachon. « Oui, c’est dégueulasse. Je ne trouve pas de qualificatifs assez forts pour dénoncer les peu scrupuleux armateurs et leurs bateaux poubelles ». Le "Prestige" en fut un.

C’était la semaine dernière, jour de relâche à l’OGC Nice. Gernot Rohr, l’entraîneur-manager, était chez lui, à Claouey, proche de l’océan. Pour comprendre le courroux du citoyen, faut-il connaître l’homme, son itinéraire. « A 17 ans, j’ai flashé sur la région. Il y avait la chaleur, les plages magnifiques, interminables. Et les gens… ».

Un bain de souvenirs pour ce paysage dans lequel Gernot Rohr (50 ans) a longtemps arrimé son destin. Sa vie a pourtant pris source en Allemagne, une terre qui a absorbé ses vingt-quatre premières années. « Mes racines sont germaniques mais je me sens plus heureux ici. La mentalité me convient mieux puisqu’en Allemagne on vit pour travailler, alors qu’en France c’est exactement l’inverse ». Pour ne rien renier, son passeport marie les deux nationalités.

Après Manuel (14 ans), c’est son deuxième fils Oscar (6 semaines) qui découvre l’aurore sur la presqu’île de Lège-Cap-Ferret, un endroit qui apparaît comme le centre de gravité de l’existence de Gernot Rohr. Une série de trophées a récompensé pareille fidélité, puisque Bordeaux fut le club insatiable du milieu des années 80 : trois titres de champion de France, deux coupes nationales et un essaim d’aventures européennes.

« Rohr, joueur de devoir, équipier modèle », telle était sa définition. Toute ressemblance ou similitude avec des personnages réels, n’est pas pure coïncidence : « C’est vrai que je me reconnais dans mon groupe. C’est une équipe à laquelle je ressemble ou qui me ressemble. Des mecs vaillants qui se battent, qui ont du cœur, sont ouverts et souriants. Et qui aiment vivre ».

« Ce qu’on a réussi tout au long des matches aller est exceptionnel, complètement inattendu, poursuit ce disciple d’Aimé Jacquet. D’entrée on a senti le truc prendre et se lever. C’est le fruit du travail, la réussite d’un groupe qui a su faire jouer des valeurs que tout le monde connaît désormais. Mais c’est également pour nous une obligation pour l’avenir ».

Les Aiglons sont toujours là malgré des moyens minimalistes et une équipe constituée dans l’urgence. De quoi ne pas faire perdre la tête à Gernot Rohr : « Notre objectif, c’est le maintien, je le répète. On a une équipe qui lorsqu’elle n’est pas au top physiquement se trouve en difficulté. Mais la défaite réveille les esprits, ça sert à remettre les choses en place. Le tout, c’est de réagir. Et il y a encore beaucoup de travail à faire au sein de l’équipe mais aussi à l’extérieur ».

L’extérieur c’est tout ce qui solidifie une réputation et creuse les fondations. Un nouveau stade (30 000 places) est annoncé en 2005 sur l’emplacement même du Ray. Parce que le futur doit aussi prendre racines à l’endroit même où le présent se crée une histoire.

Et comme l’histoire est belle, Gernot Rohr ne compte pas les voyages entre Baie des Anges et bassin d’Arcachon, « mon paradis sur terre ».

Jean-Bernard STERNE
Mardi 14 janvier 2003
© Midi Libre