A Nice, au cœur de la manifestation des ultras “contre la répression et le football business”.
En mai 68, les joueurs pros réclamaient “le football aux footballeurs”. Quarante ans plus tard, des ultras sont descendus dans la rue pour affirmer que le football appartient aussi aux supporters. Samedi 17 mai dans l’après-midi, à l’aube de la dernière soirée de Ligue 1, plusieurs groupes ultras français s’étaient donné rendez-vous à Nice et Lens pour défiler derrière une banderole unitaire “liberté pour les ultras”. A Nice, la manifestation organisée par les groupes locaux, notamment la Brigade Sud Nice (BSN), a rassemblé environ 1500 participants. Un après-midi arrosé par la pluie et le houblon. Plongée au cœur d’un coup de gueule.
Une manif unitaire pour défendre les ultras et s’opposer au foot business ; « C’est qui eux ? Les Ritals ? Ah bah non, c’est les Cannois… » En attendant le départ du cortège, le jeu du “qui est qui ?” occupe le début des festivités. Présents dès 14 heures sur la place Masséna, les responsables de la BSN installent ce qui ressemble à première vue à une manif de la CGT : le camion sono, les bouteilles d’eau, le brassard noir au logo du groupe pour l’équipe d’organisation…Rien n’est laissé au hasard. 1000 tee-shirts “liberté pour les ultras” sont distribués aux participants. L’ambiance est bon enfant malgré l’incrédulité des passants. Les ultras montpelliérains arrivent, dégaine sortie de Snatch. Les premières bises fusent. Chaleureuses retrouvailles. L’arrivée des deux bus du Commando Ultra marseillais est vivement applaudie. Il ne manquait plus qu’eux pour lancer la marche. François, figure incontournable de la BSN, parvient à chiffrer le nombre de participants. « On est près de 1500, c’est énorme ! On a fait fi des rivalités pour manifester pour une cause commune ! » s’enthousiasme-t-il, avant de préciser : « On a préféré que les Lyonnais ne viennent pas. Etant donnés les derniers incidents entre nous, cela aurait été se tirer une balle dans le pied… »
Deux axes de récriminations émergent. En premier, les ultras protestent contre la manière, selon eux injuste, dont ils sont traités par les médias, les autorités sportives et politiques. Face à l’image « partielle et négative » que les journalistes donneraient d’eux, plusieurs slogans stigmatisent la « désinformation ». Les ultras reprochent aussi aux autorités de les empêcher d’animer les stades (en interdisant leur matériel, notamment les fumigènes) et de s’acharner sur eux en cas d’incidents en sanctionnant les infractions de manière plus sévère que si elles étaient commises dans un autre cadre et en leur appliquant des lois d’exception. Les interdictions administratives de stade prononcées par les préfets sans condamnation judiciaire préalable sont particulièrement dans le viseur.
En résumé, les ultras français réclament des droits similaires aux autres citoyens, reprenant en cela un ancien slogan de leurs homologues italiens « Citoyen libre ? Non, ultra ! »
Le deuxième axe revendicatif consiste en une critique du « football moderne » (dit aussi “foot business”), des multiples matchs décalés, de la hausse du prix des billets, des atteintes aux maillots et blasons traditionnels des clubs, du turn-over incessant des joueurs, etc.
“Liberté pour les ultras !”
A vrai dire, c’est surtout le premier axe qui semble motiver les participants. La tête du cortège est d’ailleurs occupée par une immense banderole “Liberté pour les ultras” accompagnée d’un immense calicot marseillais “La passion ne se dissout pas”. Derrière ce message commun, les groupes représentés se suivent en bon ordre. On repère des Marseillais donc, mais aussi des Strasbourgeois, Montpelliérains, Cannois, Monégasques, Caennais, Toulonnais…et même des Suisses venus marquer leur solidarité. En bons hôtes, les ultras niçois ferment la marche. Les premiers chants fusent, le cortège se lance au pas afin de rallier le stade du Ray. Les torches et pots de fumée éclatent de partout. Visuellement, l’avenue Jean Médecin est plongée en plein chaos, pots de fumée, torches, bombes agricoles, chants. On se croirait dans un stade argentin !
Les passants sont intrigués ou apeurés. Les organisateurs ont eu beau inonder la ville de tracts et mettre en place un plan médias efficace, manifestement tout le monde n’a pas compris le but de ce rassemblement. Certaines boutiques préfèrent même baisser leur rideau avant le passage de la horde frénétique.
Les meneurs se relaient sur le camion sono, lançant des chants contre la LFP, Michèle Alliot-Marie la ministre de l’Intérieur, le football mercantile, etc. Un ludique et spontané « Oui à la drogue dans les stades » enrichit la panoplie de Montpelliérains décidément très en verve. Néanmoins, le cortège sait se tenir. « Tout se passe bien. A la limite, ce sont les nôtres qui sont le moins disciplinés » lâche Max, ancien leader de la BSN. Les manifestants arrivent au Ray sur les coups des 18 heures. Les leaders de chaque groupe sont conviés à prendre la parole. Le discours est globalement le même. Malgré les rivalités, le but de cette manifestation est de sensibiliser l’opinion, de démontrer que les ultras sont un pan important du monde du football. Sans doute pas un contre-pouvoir mais plutôt un groupe de pression tentant de défendre ses points de vue, valeurs et intérêts.
Et après ?
On retrouve François après la dispersion de la foule. Lucide, il revient sur une première mobilisation nationale réussie : « La dissolution des Boulogne Boys a été le déclic. On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose de visible. Montrer qu’on n’est pas une contre-culture violente et raciste comme on est souvent catalogués ». D’accord, mais la violence, ça concerne les ultras ou pas ? « On ne la nie pas, mais on ne défend pas le gars qui va se taper en connaissance de cause. Nous, on se bat surtout pour les fumigènes et contre les IDS [interdictions de stade] qui en découlent, alors que la LFP ou Canal n’hésitent pas à utiliser des images de fumigènes pour promouvoir les matchs… » A leur slogan récurrent et ambigu “Non à la répression” (il faudrait ne pas réprimer les violences ou les actes racistes ?), les ultras feraient vraisemblablement mieux de préférer une dénonciation des abus de cette répression, message sans doute plus fédérateur.
Au final, cette manifestation, utile ou uniquement ludique ? « On a rencontré M. Estrosi [le nouveau maire de Nice] hier, explique François. Il a été très à l’écoute de nos requêtes, notamment sur les torches. Le courant est bien passé, il a été sensibilisé par notre démarche. Un rendez-vous avec Bernard Laporte est prévu ». C’est effectivement par le dialogue avec les autorités politiques et sportives que les ultras pourront faire entendre leur voix. A condition que toutes les parties acceptent de jouer le jeu. A commencer par les supporters.
En effet, si le désir de reconnaissance et de respectabilité des ultras a résonné dans les chants de cette union sacrée le temps d’un après-midi, les divers incidents qui ont émaillé les rencontres de L1 et L2 ce week-end (à Sedan et Sochaux notamment) montrent malheureusement que le message n’est pas passé partout. A Sochaux, des hooligans parisiens s’en sont pris à des ultras d’Auteuil. Les ennemis des ultras sont aussi dans leurs propres tribunes…
Par MF (envoyé spécial à Nice) et NH
Sofoot