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Rivère : « Donner un style c'est long »
France-Football, le 27/09/2016 à 14h18
Si l'OGC Nice est l'équipe la plus séduisante de ce début de saison, ce n'est pas un hasard, mais le résultat d'une stratégie globale que son président entend bien développer.
On a beau dire qu'on ne cherche pas la lumière, difficile d'y échapper quand votre club l'attire autant. Après la superbe saison dernière et la résurrection Ben Arfa, ça continue avec les performances face à Marseille, Monaco et la follie Balotelli. Jean-Pierre Rivère doit faire avec, mais il y a des circonstances plus désagréables que de venir s'expliquer quand les performances de votre équipe apportent un vent de fraîcheur. Alors le président de l'OGC Nice en profite pour rappeler qu'il s'agit d'une réussite collective, citer Julien Fournier, son directeur général en qui il a toute confiance, et ses équipes. Et surtout pour répéter inlassablement que tout est fragile. Son mantra?« On ne s'emballe pas quand ça va bien, on ne panique pas quand ça va mal.» Aujourd'hui, ça va très bien, merci.
- C'était l'été de tous les dangers avec l'arrivée d'un nouvel entraineur, de nouveaux investisseurs el de nombreux changements dans l'effectif, départ de Ben Arfa, arrivée de Balotelli. Finalement, l'OGC Nice a redémarré la saison comme il avait traversé la dernière, dans la lumière ...
Il y avait des virages à prendre, mais qui sont intégrés à un projet. L'arrivée des investisseurs était programmée. On savait que des joueurs majeurs allaient probablement partir, et donc qu'il fallait anticiper. On a perdu Pue!, Germain, Ben Arfa, Mendy, Pied... À entendre ce qu'on disait, c'était la catastrophe, Nice allait jouer la relégation. Mais on a continué à travailler, tout le monde a fait son job.
- On parle beaucoup de Balotelli, mais vous dites que voire meilleure recrue, c'est Lucien Favre ...
Pour moi, le point de départ, c'est le choix de l'entraîneur. Il doit être la pierre angulaire. Ce ne doit pas être un choix par défaut. Claude (Puel) a porté ce projet. Mais, à un moment, on a voulu montrer que ce projet était au-delà des hommes, au-Âdelà de l'entraîneur, que le club est plus fort. Enfin, tout le monde sait qu'il y a eu des sujets sur lesquels on n'était pas nécessairement d'accord. Mais on a de la chance. Quand j'avais rencontré Claude Puel,je m'étais dit: "C'est lui et personne d'autre", ce qui est dangereux car vous n'avez pas d'alternative. Il fallait convaincre quelqu'un qui a reconnu m'avoir vu par politesse. Cette fois, Julien Fournier m'a dit que je devais rencontrer Lucien Favre. Il avait le profil que nous souhaitions. Et même chose qu'avec Claude: après notre discussion, c'était lui et personne d'autre. Ce qui était encore plus dangereux, car cela a été très long pour le convaincre. Il a fallu plusieurs mois.
- Vous avez un pouvoir de séduction redoutable?
Notre atout, c'est de dire les choses. On ne vend pas ce qu'on ne peut pas tenir, on vend un projet avec ses avantages et ses inconvénients. Lucien avait des souhaits dont on savait qu'on ne pourrait pas les exaucer. On le lui a dit. Donc ç'a été long, compliqué, mais c'était essentiel pour poursuivre et améliorer notre projet. En quoi Lucien Favre peut-il améliorer ce projet? Il est avec nous pour trois ans, et je suis convaincu qu'avec lui le club va encore grandir en te1mes de qualité de jeu, de qualité des entraînements. Cela va prendre du temps, mais le temps sera gagnant. On veut arriver à un style de jeu identifié. Le football est un spectacle, et pour un bon spectacle, il faut du beau jeu. Cela nécessite énormément de travail. Déjà , il a fallu peu à peu changer des joueurs qui n'avaient pas les qualités qu'on souhaitait pour ce projet sportif. Donner un style, c'est long.
« Le point de départ, c'est le choix de l'entraîneur.
Il doit être la pierre angulaire »
- On en voit pourtant déjà les fruits?
Le chemin est encore long. Si, aujourd'hui, on parle de la qualité du jeu niçois, elle n'est pas arrivée d'un coup de baguette magique. Chaque saison prépare la suivante. On ne peut pas acheter onze joueurs, donc c'est un puzzle permanent. Quand vous mettez des jeunes, vous savez que vous allez perdre des points. C'est inévitable. Soit vous acceptez de perdre des points en vous disant que vous en perdrez moins plus tard, soit vous ne voulez jamais en perdre, vous fermez, mais vous n'avancez pas. et le football n'y gagne pas grand-chose. Je préfère gagner 5-3 que 1-0, même si ça ne plaît pas aux entraîneurs. On prend des risques, on privilégie des joueurs techniques qui ne sont pas des molosses, on perd des points, et alors?
- Alors, cela peul vous pénaliser en Ligue Europa, comme on l'a vu contre Schalke04...
Schalke, c'est quinze campagnes européennes lors des seize dernières années, c'est près de 300 M€ de budget quand nous sommes à 42 M€. Financièrement, Nice n'a pas la puissance des grands clubs. On avait choisi Claude pour sa capacité à lancer les jeunes, même chose pour Lucien, qui est dans la continuité. Sarr a dix-sept ans et demi et est titulaire depuis le début de saison.
- Nice a sorti vingt-quatre joueurs de son centre depuis trois ans. La formation est, elle plus que jamais la priorité?
Dans un an, le nouveau centre va encore nous faire passer un palier. Plus ça va, plus on privilégie la qualité à la quantité. On a un tamis qui se resserre. On vient de faire un jeune, que je ne citerai pas pour ne pas l'exposer inutilement, sur lequel de grands clubs comme Manchester, Paris, Arsenal avaient plus qu'un œil. Il est venu chez nous parce qu'il sait que Nice est un club familial qui donne sa chance aux jeunes. Financièrement, c'est intéressant, mais pas que... Le public est toujours heureux de voir des joueurs formés ici. Nice a une identité forte. Et puis, on forme des joueurs qui apprennent le jeu que l'on veut produire. Toutes les équipes, des gamins à l'équipe première,jouent aujourd'hui de la même façon. On n'a rien inventé, on a regardé autour de nous. On a toujours cette idée de jeu, pour la formation, pour le recrutement.
- Et c'est quoi précisément celle idée de jeu?
À une époque, le recrutement visait plutôt le joueur costaud. L'ADN du club, c'était: "Je mouille le maillot." On veut le changer, et ça ne se fait pas du jour au lendemain. On cherche l'intelligence de jeu, la technique, le talent, bien sûr. On préférera prendre un joueur qui va dribbler tout le monde et qui ne lève pa la tête, parce qu'on va pouvoir lui apprendre à lever la tête. En revanche apprendre à dribbler quand le talent n'est pas là , c'est plus compliqué.
« On privilégie des joueurs techniques
qui ne sont pas des molosses »
- Nice ose jouer, Nice ose lancer des jeunes. Nice ose aussi des paris avec Balotelli, un an après Ben Arfa. C'est le pouvoir de séduction de l'audacieux qui vous permet de les attirer?
Personne de la cellule de recrutement n'allait venir me voir pour me parler de Balotelli parce que, sportivement et financièrement, ce n'est à priori pas pour nous. J'aime creuser parfois des idées originales, mais, à l'arrivée, il faut qu'il y ait un consensus de toutes les parties. On a une ligne directrice, un projet qui ne varie pas. On s'y tient même si on peut l'agrémenter de petites étapes supplémentaires pas forcément prévues. La venue de Mario ne tient pas du hasard. On a galéré deux mois pour pouvoir accéder à lui. Il y a eu un long travail de séduction.
- Mais l'audace paye, c'est ça?
Si ça ne marche pas, ce n'est pas grave, on aura essayé. Et si ça marche, c'est tout bénéfice. Mais on n'a pas la recette miracle. Il est important de ne pas dépenser plus que ce que l'on gagne, et malheureusement dans le foot cela arrive. On prend des risques très calculés. Le vrai danger pour un club, c'est de se dire: "Je prends le risque de... ", "Je fais une équipe que je ne peux pas me payer." Ça peut coûter très cher. Le danger est de s'enflammer et de jouer au casino, ça passe ou ça casse. Notre budget est fondé sur la dixième place. On gère le club comme une entreprise, à cette grande différence près que, si vous faites correctement les choses dans une entreprise, vous gagnez un peu ou beaucoup d'argent. Dans le foot, il faut faire avec l'aléa du résultat, et il y a toujours le risque de la catastrophe industrielle que représente une relégation. Il faut tenir compte aussi des particularités du football.
- C'est-Ã -dire?
Beaucoup de clubs doivent vendre des joueurs avant le 30 juin pour équilibrer leur bilan. Le marché sait cela. Du coup, la négo n'est plus la même car vous vendez dans l'urgence. On a la chance depuis deux ans - pourvu que ça dure! - de ne pas être dans cette situation. Quand on a cédé Jordan Amavi (NDLR : à Aston Villa), on savait qu'on n'avait pas besoin de vendre car notre bilan était propre. Pareil pour Nampalys Mendy (à Leicester), ce n'était pas une obligation. Mais ça nous permet d'anticiper. On peut se plaindre, déplorer les charges sociales, la fiscalité pesante, mais le négatif ne fait pas avancer. Quand on a des atouts, il faut travailler dessus.
- L'OGC Nice fait partie du paysage du foot français, mais vous avez sacrément dépoussiéré son image depuis quelque temps. Entre le jeu et Balolelli, c'est le club à la mode?
L'OGC Nice est un vieux club, avec un palmarès qui date désormais. Tout de suite, quand on est arrivé, on s'est dit qu'il fallait changer cette image. C'est très long, cela prend des années. Le nouveau stade a été un levier pour faire revenir familles et enfants, car le football doit se transmettre de génération en génération. Ce n'est pas simple d'attirer les gens au stade, notamment quand vous n'êtes pas propriétaire de l'enceinte. Et il suffit d'un accroc pour que tout s'effondre en dix secondes. C'est très dur quand vous êtes dirigeant. Je me revois au moment de Nice - Saint-Étienne (en novembre 2013, de violents incidents entre supporters des deux clubs avaient éclaté). Vous baissez les bras dix secondes parce que vous avez le sentiment que tout part à la poubelle, mais il faut réagir vite. J'ai eu des tensions avec nos supporters, heureusement évacuées aujourd'hui, parce que je ne pouvais pas tolérer cela. On est bien placé pour savoir qu'il y a des hauts et des bas dans le football. Notre force est de ne pas paniquer quand ça va mal et de ne pas s'emballer quand ça va bien.
« Le danger est de s'enflammer et de jouer au casino,
ça passe ou ça casse. »
- Un contexte pacifié était la condition première pour céder le club?
Oui, et une situation financière assainie. J'ai pris ce club un peu rapidement en 2011. La vie m'a gâté, et je sais la valeur de l'argent. Mais jamais je n'aurais mis en péril ma famille, qui est le cœur de ma vie, pour du football. Nice, c'était un peu beaucoup du copinage, avec des endroits où il ne fallait pas mettre les pieds. Je ne me suis pas fait que des amis, mais j'ai dit halte au copinage pour privilégier les compétences et l'efficacité.
- Des investisseurs américains et chinois sont entrés majoritairement dans le capital du club cet été. (Ils sont quatre à avoir racheté 80 % du capital: Elliot Hayes, Alex Zheng, Chien Lee et Paul Conway qui œuvrent dans la communication, l'hôlellerie, le tourisme.) Vous êtes pourtant toujours président et Julien Fournier directeur général. Était-ce un préalable?
Pas de ma part. Si, demain, je ne suis plus dans le football, ça ne me dérangera pas,j'ai une vie par ailleurs. Ils souhaitaient que je reste sept ans. Ça me paraissait long. On a fixé trois ans, et on verra. Ils ont dit sincèrement: "Nous, on ne connaît pas le football, donc on vous fait confiance." On ne les a jamais entendus lors du mercato, si ce n'est "Allez-y" quand on les tenait au courant. En même temps, je sais que, quand on leur parle de Balotelli, ils voient l'intérêt, la tête de gondole que cela représente pour leur développement. On gère le club comme avant, et c'est un confort considérable. Mais on a des carences et ils peuvent nous aider à grandir. Nous sommes complémentaires. La réunion des compétences fait toujours la force d'un projet.
- Il y a eu plusieurs échecs avant leur arrivée. Est-ce si compliqué d'attirer des investisseurs dans le football français?
C'est très compliqué, et ça l'était encore plus car nous n'avions pas la volonté de vendre le club, sinon on l'aurait fait depuis longtemps. On voulait trouver des partenaires capables de continuer le projet, de l'accompagner. Ça se prépare. C'est deux ans de travaille, avec effectivement des échecs. Pour être attractif, il faut se donner les moyens de l'être. Il faut un produit propre, dans ses finances, dans ses structures, et un projet pour l'investisseur. L'atout que j'avais dans un coin de ma tête était que Nice est une ville assez unique au monde, avec un aéroport dans la ville, la Côte d'Azur, un nouveau stade... Je ne leur ai pas vendu que le club, mais le potentiel de la ville et de la région. L'investisseur chinois est un leader en Chine en matière d'hôtellerie et de tourisme. Je suis allé voir Christian Estrosi pour lui demander si cela posait un problème, sur le plan touristique, d'ouvrir des ponts avec l'Asie, avec la Chine. C'est une ville que j'aime tellement que, à mon tout petit niveau, si je peux lui apporter une impulsion supplémentaire... Un club de foot appartient au patrimoine d'une ville, d'une région. Cela va bien au-delà du sport. Il y a des implications sociales. Je prends bien sûr du plaisir à voir des beaux matches, mais aussi quand je me dis qu'on sert à quelque chose, un tout petit peu.
- Nice joue aujourd'hui les premiers rôles en Ligue l. Quelle est l'ambition du club?
C'est de continuer à grandir. Le classement ne signifie rien après aussi peu de journées. Quand je suis arrivé, j'ai dit à voix haute que je rêvais de voir l'OGC Nice installé dans le top 10 et s'invitant régulièrement en Coupe d'Europe. Je pense toujours à cela, mais on a encore beaucoup de travail. Le souhait d'un président de club, c'est de donner du bonheur, par les résultats, par la qualité du jeu, par les buts d'un Balotelli. Quand vous voyez les sourires, vous vous dites que vous faites du bon travail, mais il faut garder en tête que tout peut basculer de l'autre côté très vite. Je me souviens des sept défaites d'affilée il y a deux saisons et du public réclamant la démission de Claude Puel. Non seulement il n'est pas parti, mais, de plus, on l'a prolongé. Pas pour aller à contresens mais parce qu'on savait que le travail de fond était bon, on était convaincu par les fondations. Ce n'est pas facile, car il y a la pression, du public, des médias... Il faut se mettre dans une bulle. Et ne pas avoir peur de tenir ses convictions.
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