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Youcef Atal : « J'ai tout laissé derrière moi »
France-Football, le 19/06/2019 à 10h12
Débarqué à Nice dans l'anonymat le plus total, l'Algérien a fait des misères à presque toutes les équipes de Ligue 1, PSG compris. Il a été LA révélation de la saison 2018-19.
- Dante a dit de vous : “Atal, il joue comme s’il était au bled !” C’est quoi, jouer comme au bled ?
À travers moi, il s’est peut-être revu plus jeune au Brésil, lorsqu’il jouait avec ses compatriotes. J’ai compris que cela voulait dire que je jouais comme si j’étais encore dans mon quartier. Que peu importe ce qui se passe autour de moi, peu importe l’équipe ou les joueurs que j’affronte, je ne fais aucun calcul, je conserve une forme d’insouciance.
- En clair, il vous a bien cerné…
Oui, je ne réfléchis pas, je joue à fond, avec le cœur. Mon style de jeu, c’est beaucoup d’instinct. Au fond, il n’y a pas beaucoup de différences entre les joueurs algériens et les joueurs brésiliens. Le profil est très proche, nous sommes des joueurs techniques. Il faut juste que je sois en phase des attentes du football européen.
« La rue m'a appris beaucoup de chose. »
- Dans votre enfance, quelle place occupait le football dans votre vie de tous les jours avec votre famille, vos copains ? La technique, l’instinct, le côté malin, cela vient de là ?
Pour moi, le football a commencé au quartier, du côté d’Alger, plus exactement à Chamaneuf (NDLR : appelé ainsi par ses habitants, mais le nom officiel est Sidi M’Hamed). J’ai joué dans la rue avec la “Oumma” (le peuple), au sein d’un club qui s’appelle Rigoudy. Et puis, j’ai été repéré par le CR Belouizdad (un club algérois) avant de partir dans ma région d’origine pour jouer à la JS Kabylie. La rue m’a appris beaucoup de choses, et notamment des choses qui ne se travaillent pas.
- Quoi par exemple ?
Le maniement du ballon, la précision des passes dans des petits espaces. Ça permet d’avoir un bagage pour ensuite développer le reste et pouvoir voyager dans le monde du football.
- En Algérie, votre histoire bascule en 2014, lorsque vous rejoignez le Paradou, un club formateur où les jeunes joueurs évoluent les pieds nus lors de leurs premières années…
Oui, mais je ne suis pas passé par ce processus. Je suis arrivé là-bas sur le tard, vers l’âge de seize ans, alors que Ramy Bensebaini (le défenseur du Stade Rennais) et d’autres amis, eux, ont commencé à dix-onze ans au sein du Paradou. Ils ont effectivement commencé à jouer au football selon cette méthode. Pour ma part, c’est l’entraîneur Olivier Guillou (neveu de l’ancien international français Jean-Marc Guillou, à l’origine du projet du Paradou) qui a convaincu ma famille qu’il fallait que je vienne pour progresser, et ainsi viser une carrière en Europe.
- C’est aussi là-bas que vous avez changé de poste ?
Effectivement. J’ai joué jusqu’à seize ans comme ailier droit ou gauche. Olivier Guillou (décédé d’une crise cardiaque en 2015) m’a proposé d’évoluer dans le couloir droit dans son 3-5-2. J’ai tout de suite accroché, j’ai pris du plaisir à attaquer mais aussi à défendre. Cela a changé ma carrière, tout comme cette signature au Paradou AC… J’ai pris conscience que j’allais en faire mon métier. Je suis devenu plus sérieux dans mon comportement.
- À vingt et un ans, vous faites le grand saut vers l’Europe et Courtrai, en Belgique. Quels obstacles avez-vous rencontrés principalement ?
Cela a été très dur. J’ai tout laissé derrière moi. C’est une autre vie. Je me suis retrouvé tout seul dans une maison sans ma maman. Je ne connaissais pas la langue, et il faisait très froid. Même au niveau des terrains, j’ai dû m’adapter. En Algérie, on évolue sur des synthétiques, alors que là, c’était du gazon. Le rapport au ballon et au jeu n’est pas le même. Mais si on veut quelque chose, il faut aller le chercher. Ma famille, mon président m’ont dit qu’il fallait sauter le pas.
- Vous ne le regrettez pas ?
Je suis heureux ici. Nice, c’est comme l’Algérie. C’est le même climat qu’au pays. La langue française, c’est plus simple que le flamand pour un Algérien ! Et puis, pour avancer, je me dis toujours la même chose : (il s’exprime en kabyle) “Anarez wala neknou”. On se brise, mais on ne fléchit pas.
- Vous avez peu joué en Belgique, notamment en raison de blessures. Pourtant, Nice est quand même venu vous chercher. Savez-vous comment l’OGCN vous a choisi ?
En Belgique, mon entraîneur ne me voyait pas du tout comme un latéral. J’ai appris que Nice était venu me superviser lors d’une rencontre contre le FC Bruges. Je devais être aligné en pointe de l’attaque, comme soutien du buteur. Finalement, notre arrière droit s’est blessé à l’échauffement et je l’ai remplacé sur-le-champ. Je me souviens avoir réussi un très bon match. Franchement, il est possible que ça se soit joué sur ce coup du sort.
- Vous aviez plusieurs offres à l’époque (Angers, Guimaraes, le FC Bruges…). Pourquoi avoir choisi l’OGC Nice ?
Je me suis renseigné. J’ai vite compris que c’était le bon club pour continuer ma progression. Avant même que je signe, j’ai également noté l’arrivée de Patrick Vieira. Cela a beaucoup joué parce que je savais qu’il aimait faire jouer les jeunes. Évidemment, après, il faut faire le boulot, mais j’avais compris que Nice était là pour me donner ma chance.
- Justement, il est comment coach Vieira avec vous ?
Il sait vraiment bien prendre les joueurs. Cette saison, il a su me rassurer, mais aussi me piquer ou me recadrer quand il le fallait. Quand il sent qu’on n’est pas dans l’esprit, le coach intervient et dit les choses clairement. Pour moi, cela a été une bonne chose. C’est quelqu’un qui parle beaucoup. Quand je suis arrivé, il m’a donné de la confiance. Il a pris du temps pour me parler. Je me suis senti à l’aise. Je sais que c’est un grand joueur qui a marqué l’histoire du football français et d’Arsenal.
- Vous avez été l’une des grandes révélations de la saison écoulée. Est-ce que cela a changé quelque chose pour vous ? Votre quotidien est-il différent, désormais ?
Effectivement, il y a quelque chose qui a changé. L’an dernier, j’ai eu une saison difficile, très difficile. Là, ce ne sont que des belles choses, je les prends. Je joue au football aussi pour ce genre d’émotions. Mais je ne veux pas changer, je veux rester toujours le même Youcef. Parce que si je ne suis plus le même à cause de la notoriété ou des sollicitations, je perdrai aussi ce qui fait ma force sur le terrain. Je dois rester concentré sur mon travail, et sur le terrain. Ce n’est que le début de ma carrière. Après tout, je rappelle que ce n’est que ma première saison à ce niveau…
« Je sais qu'il y a des intérêts pour moi... »
- On parle de vous dans des top clubs la saison prochaine, comme le Paris-Saint-Germain, Naples, et d’autres. Est-ce que vous en avez entendu parler ou vous êtes resté concentré sur le terrain ?
Oui, j’en entends forcément parler. C’est difficile de faire l’impasse de tout cela avec la puissance des réseaux sociaux.
- Que pensez-vous de toutes ces sollicitations, de tous ces noms ?
Je sors d’une belle saison à Nice. Je respecte ce club, ce qu’il a fait pour moi. Je sais que c’est un club ambitieux, qui a des objectifs. Après, on verra ce qu’il va se passer. On a tous envie de jouer la Ligue des champions, de gagner des titres. C’est important dans une carrière. J’ai effectivement moi-même de tels objectifs. Après, je sais qu’il y a des intérêts pour moi. On verra…
- Dans quel domaine avez-vous le plus progressé depuis votre arrivée à Nice ?
En Belgique, je n’ai pas beaucoup joué (une douzaine d’apparitions, toutes compétitions confondues). L’entraîneur me voyait comme un attaquant… Donc, à Nice, j’estime que c’est ma vraie première saison pleine en Europe. J’ai eu la confiance du club niçois, de l’entraîneur et son staff, ça m’a beaucoup apporté. Je crois avoir bien travaillé tactiquement, et même au niveau offensif, j’ai appris des choses. Patrick Vieira a été déterminant. Je lui dois beaucoup, et je le remercie d’avoir pris le temps de me faire travailler.
- Qu’avez-vous travaillé ? Dans votre jeu, on note que vous ne cessez d’arpenter votre couloir. Vous avez travaillé sur la répétition des efforts à haute intensité ?
Depuis que je suis enfant, j’ai toujours été comme ça. C’est comme un don de la nature. J’ai une certaine énergie, mais le reste, c’est Dieu qui me le donne.
- Quand on vous regarde, on a l’impression qu’il y a du Daniel Alves chez vous. Quel est votre modèle à ce poste de latéral ?
Il y a beaucoup de joueurs que je regarde. Mais celui que je préfère, c’est Marcelo. Il est exceptionnel. Il est complet dans son registre. Il défend bien, il attaque bien, et il est aussi technique qu’un meneur de jeu.
- Cette saison, en Ligue 1, quel adversaire vous a posé le plus problème ? Et pourquoi ?
En France, il y a vraiment de la qualité, on croise beaucoup de bons joueurs. J’ai joué Neymar deux fois, il est parfois venu de mon côté. Je vous confirme qu’il est vraiment très difficile à gérer. Il a des appuis fantastiques.
« Je défends beaucoup plus qu'on ne le pense. »
- Justement, vous vous signalez par vos qualités offensives. Est-ce qu’à votre poste ce n’est pas un peu un piège, car avant tout, votre job, c’est de défendre ?
Les choses sont très claires. Je suis latéral droit. Je peux certes rendre des services en tant qu’ailier, comme face à Guingamp (le 28 avril, positionné sur le flanc gauche de l’attaque des Aiglons, il avait battu presque à lui seul les Bretons en inscrivant un triplé). Mais je défends beaucoup plus qu’on ne le pense. On le voit évidemment moins qu’un but ou une passe décisive. J’ai de la vitesse, et même quand je suis dépassé ou pris, j’arrive parfois à revenir sur mon adversaire.
- Étiqueté défenseur, vous avez inscrit ce fameux triplé contre Guingamp. Qu’est-ce que ça provoque comme émotion ?
C’est la première fois que ça m’arrive. Après, c’est quelque chose qui reste exceptionnel. Avec mon passé d’ailier, j’aime les situations offensives, j’essaie de lire le jeu le plus vite possible pour anticiper au mieux. Au final, je me rends compte que mon poste est très hybride. Parfois, je suis dans la peau d’un attaquant.
- L’autre fait marquant de votre saison, c’est cette action où vous envoyez Bernat le nez dans la pelouse du Parc (le 4 mai 2019, 1-1). C’était un match important, est-ce que vous étiez surmotivé par cette opposition ?
Je rentre avec la même envie à tous les matches. Je ne veux avoir aucun regret. Je me donne à fond et je pense que ça transpire dans mon jeu. Après, ce serait mentir que de vous dire que je n’étais pas gonflé à bloc contre le PSG. Parce que c’est une grande équipe, qu’il y a de grands joueurs, et que ça permet de s’étalonner face aux meilleurs. Cette action face à Bernat (un enchaînement crochet intérieur-crochet extérieur à toute vitesse après une course de soixante mètres), on m’en a beaucoup parlé alors que sur la saison, peut-être que j’en ai réussi des plus spectaculaires. Mais on va plus retenir celle-ci car c’est contre Paris.
« Se savoir aimé par les Algériens, c'est une fierté. »
- En Algérie, cette vidéo a beaucoup tourné. Là-bas aussi, le regard sur vous a-t-il beaucoup changé ?
(Rires.) C’est plus difficile de circuler dans la rue… Je sais qu’il y a des chances que ma vie ne soit plus la même en Algérie. Je n’ai pas peur de cela parce que ce sont des ondes positives qu’on me renvoie. C’est mon pays. C’est un sentiment difficile à expliquer, mais se savoir aimé par les Algériens, c’est une fierté.
- Pourquoi votre cote a-t-elle explosé à ce point au pays ? Parce que vous êtes issu de la formation locale ?
Oui, cela entre en compte. Ces vingt dernières années, peu de joueurs du cru se sont exportés vers l’Europe. Récemment, cela a redémarré avec (Islam) Slimani, (Hilal) Soudani ou (Ramy) Bensebaini. Je suis dans cette logique, et cela donne peut-être un supplément d’amour. En Algérie, du talent, il y en a. Il demande simplement à être exploité.
- La CAN va bientôt démarrer. Est-ce que la compétition vous habite depuis quelque temps déjà ?
J’y pense vraiment. C’est ma première compétition avec l’équipe nationale. Pour notre peuple, on ne doit pas tricher sur l’envie. C’est un objectif de cœur, on se doit de faire quelque chose en Égypte. On a des chances, sinon ça ne sert à rien de se déplacer.
- Dans votre couloir, plus haut, il y a Riyad Mahrez. Quand on a un joueur d’une telle dimension dans son secteur, est-ce que ça met la pression ? Se dit-on qu’on se doit d’être à la hauteur ?
Je ne me dis pas cela. Parce que si je me dis ça, je vais m’inhiber. Je joue sans complexe.
- On a toujours le sentiment qu’il y a un engouement exceptionnel autour de la sélection algérienne. Est-ce que, finalement, il n’y a pas trop de pression autour de vous ?
Par rapport à notre talent, notre potentiel, je sais que c’est surprenant alors que l’Algérie n’a gagné qu’une seule Coupe d’Afrique des nations, en 1990. La pression, elle est toujours là, et dans ce genre de contexte, cela peut être un frein. Mais je crois qu’on n’est pas tous égaux par rapport à cela. Des joueurs vont y être plus sensibles que d’autres… La mission, c’est d’arriver à transformer cette attente en un moteur positif. On a la chance d’avoir un bon entraîneur. Djamel Belmadi (ancien joueur de l’OM) a une expérience du football européen et africain. Il comprend bien le fonctionnement des joueurs algériens. Je l’aime beaucoup. Mon sentiment, c’est qu’avec lui, on peut faire quelque chose…
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