POLYVALENTS. Personnalités très appréciées au sein de leurs clubs, le Nantais et le Niçois évoluent à des postes proches, mais dans un style très différent. Demain, les ex-compères se retrouvent au stade du Ray.
Leur parcours.
Les deux hommes ont parcouru un bon bout de chemin ensemble à Nantes. Mais ils auraient très bien pu se côtoyer sous un autre maillot. Celui d’Auxerre, par exemple. Le club bourguignon avait – comme Toulouse, Bordeaux et le FC Nantes – repéré Frédéric Da Rocha lorsqu’il évoluait avec les cadets nationaux de Mérignac, après des débuts à Cenon, s’illustrant en sélection de Ligue. Et c’est naturellement vers le club où avait joué son cousin Pascal que Marama Vahirua fut dirigé par son entraîneur de père, alors que l’AS Tirae devenait trop petite pour lui. Mais la qualité du centre de formation nantais a séduit l’attaquant girondin. Et le climat de Loire-Atlantique a semblé moins hostile au Tahitien. « J’avais fait un stage à Auxerre, mais il y faisait trop froid. Vraiment, je ne pouvais pas ! » A Nantes, où il est arrivé en 1997, il lui aura fallu un an d’adaptation, au cours duquel il fut tour à tour secoué et couvé par Jean-Claude Suaudeau, qui, entretenant alors des relations amicales en Polynésie, se sentait investi d’une mission de « parrain » du gamin.
La suite est un joli conte. En mai 2000, Raynald Denoueix l’utilise comme joker au Havre. Vahirua inscrit le but qui maintient Nantes parmi l’élite. Un an plus tard, c’est encore lui qui marque le but qui offre son huitième titre au club. Des débuts tonitruants dans la carrière. Da Rocha, lui, a déjà quelques saisons derrière lui. Lancé par Suaudeau en septembre 1995, c’est avec Denoueix qu’il s’affirme. Ses qualités de lutteur infatigable sont louées dans l’Hexagone, et même au-delà. Juste après le titre de 2001, Marseille, Paris et Liverpool s’intéressent à lui. « J’ai préféré rester pour jouer la Ligue des champions ici, où les dirigeants ont fait les efforts pour me garder. » Vahirua, lui, n’aura pas cette chance. « J’aurais bien aimé rester mais, l’été dernier, j’ai senti que j’avais fait mon temps ici. L’entraîneur (NDLR : Loïc Amisse) ne m’offrait pas beaucoup de perspectives de temps de jeu. » Gernot Rohr, qui le voulait déjà alors qu’il s’occupait du centre de formation de Bordeaux, saute sur l’occasion pour lui faire signer un contrat de trois ans à Nice.
Leurs caractéristiques techniques.
Comme disait le rugbyman Pierre Danos, « il y a ceux qui jouent du piano et ceux qui portent le piano ». La métaphore vaut pour le football. Et Vahirua tient sans doute plus du virtuose que Da Rocha, dont le bon bagage technique est un peu masqué par une allure un brin pataude. « Ce ne sont pas du tout les mêmes, estime Raynald Denoueix, qui les a coachés avec la même réussite. Marama, c’est la vitesse. Une mise en route efficace, une habileté dans les petits espaces, une bonne aptitude au dribble et, par conséquent, de la surprise. On peut aussi parler d’un bon toucher. “ Da Roch ”, lui, c’est plus un joueur tout-terrain. Avec son volume de jeu, il peut jouer tous azimuts. » « Il pouvait », corrigerait Serge Le Dizet, son entraîneur actuel, qui l’utilise désormais en attaquant décroché. « Aujourd’hui, il passe moins sur le côté. C’est un vieux soldat, qui a beaucoup donné. Mais il a toujours cette faculté de se rendre disponible, de se glisser entre les lignes. » Denoueix dit d’ailleurs de lui qu’il est « le joueur collectif par excellence. Moins buteur que Marama. » Sa frappe lourde a néanmoins débloqué quelques situations. Mais les fulgurances du Tahitien, désormais aussi utilisé commeailier,marquent davantage les esprits.
Leur personnalité et leur influence sur le groupe.
Les témoignages concordent. Chacun dans leur style, ils apportent beaucoup à l’ambiance générale. Frédéric Da Rocha est, selon Serge Le Dizet, « le boute-en-train. Toujours à chambrer. » Marama Vahirua, lui, instille une « décontraction communicative », à en croire Gernot Rohr, qui lui demandait parfois de prendre sa guitare lors des mises au vert. Les deux hommes sont en tout cas unanimement appréciés. Et s’ils peuvent revendiquer l’étiquette de leader au titre de « l’exemplarité », ce ne sont ni l’un ni l’autre des « forts en gueule ». Ce qui ne les empêche pourtant pas de s’engager le moment venu. En décembre dernier, lorsque Loïc Amisse voulut suspendre Landreau d’entraînement après sa rébellion médiatique, Da Rocha fut parmi les premiers à se lever pour dire : « S’il ne vient pas à l’entraînement, moi non plus je ne viens pas.» De la même façon, Marama Vahirua s’est montré « solidaire » envers Gernot Rohr, quand celui-ci s’est trouvé sur la sellette. « Il a dit ce qu’il avait à dire, de façon très pro. Il fait partie des gens qui ne brûlent pas ce qu’ils ont aimé. » En outre, Da Rocha et Vahirua ont partagé, à Nantes, un type de relation erratique avec le public. Le plus ancien, parfois critiqué pour son manque d’efficacité, n’a jamais semblé en être affecté. Le plus jeune, lui, a eu quelques coups de blues, quand les supporters de la Beaujoire n’acceptaient pas qu’il marque le pas. Mais à Nantes et à Nice, Da Rocha et Vahirua jouissent aujourd’hui d’une même belle cote de popularité mâtinée de respect. L’apanage des joueurs qui ne trichent pas.
Leurs objectifs pour 2005-06.
Les Canaris et les Aiglons ont eu chaud aux plumes la saison dernière. Alors, d’un côté comme de l’autre, on parle surtout d’être « tranquille un peu plus tôt ». Mais les deux gaillards sont des compétiteurs. Vahirua songe quand même « à jouer plus que le maintien ». Et Da Rocha, en fin de contrat en juin prochain, va plus loin : « J’aimerais bien qu’on joue les six premières places, tout en sachant que ce sera dur. Même si on est en période de reconstruction, l’Europe, ça manque. Mais il y a aussi les Coupes pour y arriver. » Ce modèle d’altruisme peine en revanche à révéler des ambitions personnelles : « Déjà, n’être pas blessé pour pouvoir enchaîner les matches, contrairement à l’an passé. Et puis, quand même, marquer mon 40e but en L1 ! » Marama Vahirua, lui aussi, en est à 39. Il reste sur sa saison la plus pleine avec 34 matches et 10 buts, son record. « Mais Antonetti attend que je donne beaucoup plus que ce que j’ai déjà donné. Par exemple, il veut plus de 10 buts. Mais dans le jeu, car, l’année dernière, je tirais les penalties. » Regards croisés. Cela ne fait pas de doute, les deux hommes s’estiment. « C’est un gars des îles qui ne se prend pas la tête, toujours gentil », dit Da Rocha du Niçois, qui répond en écho : « Da Roch, c’est vraiment quelqu’un d’honnête. On s’entendait très bien. Le fait d’avoir des fils du même âge a créé un lien supplémentaire. » Chacun apprécie, par ailleurs, les qualités du joueur. Vahirua complimente : « Quand tout le monde commence à flancher, lui est toujours là pour remonter la pente, par sa façon de vivre sur le terrain. Il donne envie de le suivre. C’est un lutteur. »
Da Rocha, lui, apprécie « sa spontanéité. D’ailleurs, au début, à peine il mettait un pied sur le terrain, il avait déjà osé et marqué. Techniquement, il est très fort. C’est un des très bons attaquants de notre Championnat. C’est dommage qu’il soit parti de chez nous l’an dernier, je pense qu’il aurait pu nous mettre pas mal de buts. » Le Niçois avait toutefois participé à l’opération maintien de Nantes en ratant face aux Canaris un penalty, au stade du Ray, lors de l’antépénultième journée. Finalement, les deux équipes, qui s’étaient quittées sur un nul, ont rempilé en L1. Du coup, samedi, les rescapés se retrouvent face à face. L’occasion de partager quelques souvenirs pour Vahirua et Da Rocha, qu’un joyeux différend oppose toujours. « En 2001, avant d’aller à Rennes, raconte le Tahitien, Da Roch avait pris un engagement : “ Si tu marques, je... ” Non, je ne peux pas le dire (rires). Il le dira, lui. S’il le veut bien. En tout cas, j’ai marqué, et il s’est défaussé. » Le secret est manifestement inavouable. Mais Da Rocha sauve l’honneur : « De toute façon, je n’avais pas à le faire. D’accord, il avait marqué, mais c’est moi qui lui avais délivré la passe décisive. Alors, ça ne comptait pas. »
L’anecdote donne le ton. Et pour le vaincu de samedi, au fait, rien de prévu ?
Correspondance PIERRE-YVES ANSQUER
France-Football