Coach de l'OGC Nice, qui joue samedi la finale de la Coupe de la Ligue, Frédéric Antonetti, détonne dans le monde du football.
Vingt-huit ans après une finale perdue face à Nancy (Coupe de France), Nice retrouve les Lorrains (samedi à 20 h 45 sur France 3) en finale de la Coupe de la Ligue. Pendant ce temps, où va le foot pro ? L'entraîneur de l'OGC Nice, Frédéric Antonetti, 44 ans, ex-coach de Bastia, d'Osaka (Japon) et de Saint-Etienne, a son idée.
- Moins efficace de tous les championnats européens, le foot français est chiant?
Les statistiques, il faut s'avoir s'en affranchir. La différence entre 1,9 but par match et 2,1, ça ne veut pas dire grand-chose. Il y a d'autres paramètres à l'heure de la mondialisation du foot, qui nous nivelle un peu par le bas. On se fait piller les meilleurs nationaux depuis plus d'une décennie et malgré tout, on résiste pas trop mal, et personne ne le dit. Et en plus, ce dont personne ne parle, c'est qu'avant, on pouvait aller chercher des joueurs étrangers dans les viviers est-européen (ex-Yougoslave), africain ou sud-américain (argentins, notamment). On n'en a plus les moyens. Alors on s'oriente de plus en plus vers les pays du Golfe, le Maghreb ou l'Asie. Vous allez me dire : le Brésil ,c'est pareil, pompé de son élite. Mais le vivier n'est pas le même. Et nous, malgré tout ça, on s'en sort, grâce à notre formation…
- Les clubs peut-être, le public, cela reste à voir...
Mais c'est quoi l'image du foot étranger? Celle qu'on voit dans les résumés télés, le dimanche soir, sur Canal +? C'est réducteur les Barça-Real, les Juve-Milan, les Liverpool-Manchester ou les Boca juniors-Riverplate, ou la Champion's league. Mais les Malaga- Deportivo Alaves, les Sunderland-Portsmouth, les Sienne-Chievo Verone, je zapperais s'ils étaient retransmis en intégralité. ça rame, ça joue dans les airs, ça n'avance pas. Arrêtons de fantasmer! Y'a plus d'homogénéité dans le foot français. Ouais, c'est ça le vrai mal national: on passe notre temps à se lamenter, à penser qu'ailleurs c'est toujours mieux; on est plombé par notre morosité. Suffit de passer la frontière italienne pour voir la différence d'état d'esprit. Ce qu'il nous manque, c'est vrai, c'est trois ou quatre grosses cylindrées...
- La montée en puissance des grands clubs, qui se regroupent pour tenter d'imposer leur loi, cela vous fait-il craindre le risque d'un foot à deux vitesses?
Parce que dans les années 60, c'était différent, peut-être? Ce ne sont pas plus ou moins les mêmes qui règnent depuis? Mais elle a toujours existé l'omnipuissance des grands clubs! Arrêtons de dire tout et n'importe quoi. Même l'arrêt Bosman, au fond, n'a pas changé grand-chose. Ce qui a changé, c'est que les pays de l'est n'ont plus accès à l'Europe depuis la chute du Mur de Berlin ou quasi: leur dernier représentant à avoir atteint le toit continental, c'est l'Etoile de Belgrade, en 1991. Notez qu'on commence à les voir réapparaître via la coupe de l'UEFA. Façon Abramovitch, de nombreux nouveaux riches, à la tête de fortunes aussi rapides que douteuses, se sont mis à investir en Bulgarie, Roumanie, etc. Un rééquilibrage s'esquisse...
- On glose beaucoup sur les réformes dans le foot…
Je suis un progressiste. Pour la vidéo – on a beaucoup à apprendre du rugby– dans la surface de réparation et les fautes graves qui entraînent ou pas un rouge. On me dit ça tue la spontanéité. Mais 15 secondes pour vérifier s'il y a péno, c'est rien! Mais je ne plaiderais pas pour les bonus, qui pousseraient inévitablement aux calculs, à la triche. Et peut-être faut-il aussi commencer à responsabiliser les juges de touche pour qu'ils prennent des risques et acceptent de laisser jouer des situation où le hors-jeu est limite. Je vois six matches par semaine du championnat. A chaque journée, une vingtaine de hors-jeux sont sifflés alors qu'une moitié ne devraient pas l'être. Dans le doute, il ne faudrait pas lever le drapeau. Et à l'arrivée, on serait largement au-delà des deux buts par matchs. Il suffirait de faire passer la consigne.
- C'est quoi, le foot aujourd'hui?
C'est trouver le petit truc qui peut te permettre de tirer le maximum de ses joueurs... Le foot, c'est 50% de mental, et, grosso modo, environ 17% de technique, 17% de physique et 17% de tactique. Si un joueur est au top psychologiquement et physiquement, il est à 67%, c'est déjà pas mal. En général, le mec qui est costaud physiquement, il l'est aussi dans sa tête. On dit souvent: «Il était doué ce joueur». Oui, il pêchait par un mental défaillant. Et surtout un physique en deça. On travaille pour développer, à talent équivalent, cette culture du compétiteur, du gagneur. La différence entre un joueur de Ligue de Champions, de L1 ou L2, elle est là ... Un Koné, par exemple, il a toujours l'étincelle. Un Bellion, il a un peu brûlé les étapes, il faut le reconstruire. Un Fanni (lire par ailleurs), il a beaucoup. Le foot, c'est gérer les individualités dans un collectif.
- Vous le voyez ça, quand vous recrutez sur vidéo?
Non... C'est la marge d'erreur, la part d'ombre, et elle est énorme. On ne maîtrise pas le comportement hors match, à l'entraînement, la vie, avec les autres joueurs, etc.
- C'est aussi du tableau noir, tactique et stratégie. Quid du choix cornélien entre 4-2-3-1, 4-3-1-2, et 4-3-2-1, qui laisse un seul attaquant en pointe?
On se masturbe beaucoup trop l'esprit sur ces options. C'est plus compliqué et tellement plus simple que cela. Tout dépend des attaquants dont vous disposez et de leur complémentarité. Dans l'absolu, je préfère jouer avec un meneur de jeu capable de marquer et trois attaquants. Mais ça peut aussi être différent (il prend un feuille et grifonne des options à 1, 2 ou 3 attaquants). On n'invente rien, on recycle: le Brésil de 1970 jouait déjà avec Jairzinho, Rivelino et Pelé. C'est comme si vous me demandiez qui je recruterais si j'avais un chèque en blanc: je piocherais entre Shevtchenko, Eto'o, Henry, Kaka, Ronaldinho, Juninho, Pujol derrière, etc. J'suis pas original. Ce qui est sûr, c'est que le foot n'a jamais été aussi riche qu'aujourd'hui, à tous les postes.
- Vous parlez souvent foot avec d'autres entraîneurs?
Non. Je suis un peu ours, c'est une façon de se protéger. On se voit très peu, et quand on se rencontre, c'est en match... pas le meilleur moyen de discuter. Je ne suis plus à l'Unecatef (l'Union nationale des entraîneurs et cadres techniques du football français, le syndicat des entraîneurs, ndlr), il y a trop de loups, trop de gens que je déteste, qui sont des faiseurs, qui ont le carnet, le costume, les lunettes, la tchache et le bon mot en conférence de presse mais qui sont nuls ou prêts à vous planter un poignard dans le dos. Le type de mec qui, quand j'étais à Saint-Etienne, téléphone au président pour lui dire: «Ce mec-là , Antonetti, faut qu'il rentre en Corse...»
- Vous avez été au chômage, vous avez connu ça le besoin d'exister et de se vendre...
Pas comme ça! Jamais. C'est tellement dégueu. Et je n'ai pas sollicité de clubs...
- Des coachs, vous en appréciez, admirez même?
En France, quand j'étais au chômage, je vivais à Saint-Etienne, j'ai vu 25 fois Lyon jouer avec Le Guen. J'ai jamais osé demander à le voir. Je regrette, trop timide. Sûr que j'aurais appris des trucs, à l'entraînement, dans sa vision du foot. J'adore Puel aussi, à Lille, ou Lacombe au PSG et Fernandez à l'OM, des «vrais» entraîneurs, passionnés, compétents, loyaux, pas des Tartuffe. Ces hommes, ils ont commencé par le bas, la formation, l'ombre; ils vivent le foot par toutes les pores de leur corps. A l'étranger, il y a les Italiens, les Ancelotti, les Capello. Et Mourinho... Ah, Mourinho, on se fout de sa gueule, mais, derrière le cinéma, c'est un entraîneur exceptionnel.
- C'est quoi un bon entraîneur?
Simple: celui qui dit on est favori et finit premier. Un type capable de tirer au moins à la 15e place une équipe qui a le niveau et le budget du 17e... Ce type-là sera toujours meilleur que celui qui coache une équipe censée finir 3e et qui termine 5e. Mais ça, on le voit pas...
- Comme vous à Nice, 17e budget de L1?
... Qui est capable de le faire sur la durée. Moi ou Hantz, au Mans, faudra attendre pour voir, mais il promet vraiment. Car un bon coach, c'est aussi celui qui ne se fait pas manger par l'environnement, par l'émotion sans équivalent d'un sport sans équivalent. Un bon coach sait faire la part des choses, qui sait qu'on le jugera plus par rapport à son équipe, que par rapport à ce qu'il peut en dire.
- Qu'est ce qu'on ressent quand regarde un match du banc ?
J'suis du Sud, un peu bouillant. On tente de faire la part des choses et éviter d'exploser comme j'ai a pu le faire par le passé. On tente de se concentrer sur les schémas tactiques mis en place. On tente de pardonner l'erreur – tout le monde en fait – mais pas l'erreur égoïste. Ce type d'erreur se multiplie car on a fait du foot, sport collectif au départ, un sport d'égoïste. Le pire ennemi du foot, c'est le foot lui-même et son individualisme ou son individualisation, à l'image de notre société. Or, le collectif sera toujours plus important que l'individu. Mais voilà , l'extrême médiatisation, la starisation entraînent une dilution des clubs et des équipes au profit des joueurs. Et de leur image. On tente enfin d'oublier l'arbitrage, qui, inconsciemment, avantage toujours les grosses écuries. Mais je pense sincèrement qu'on devrait «bosmaniser» l'arbitrage. Envoyer les arbitres françlais en Italie, ou faire venir des Britanniques en France. Les arbitres sont des juges, et les juges ont souvent des a priori.
- Vous rêvez de schémas tactiques la nuit...
(Silence). Je ne suis pas un obsédé, non, mais je guette l'inspiration, oui. Chez moi, il n'y a pas de photo de foot. Un petit bureau, quelques cassettes, que je rends, «l'Equipe» ou «France Football», que je jette après les avoir lus. Je me lève, je vois la Méditerranée, ça aide plus que tout. ça m'aide à oublier que parfois, ici, à Nice, les gens sont pas faciles, impatients, exigeants, généreux aussi. Veulent tout, tout de suite. Alors qu'on n'a rien gagné depuis près de dix ans. Le foot, c'est aussi du temps.
Christian LOSSON
Libération