Un joueur de foot, c’est surtout le terrain, mais aussi l’entourage. Cinq Niçois en parlent.
Le milieu du foot est devenu depuis une dizaine d’années un territoire un peu fantasmatique, où le grand public imagine des créatures de rêve, de l’argent qui coule à flots et des cocktails multicolores. Rien n’est plus faux. La vie d’un footballeur, c’est d’abord un vestiaire où il cohabite avec une trentaine de joueurs : il n’y en a qu’un sur trois qui est aligné le samedi, ce qui donne une idée de la rudesse de la concurrence interne.
Le quotidien du pro, ce sont ensuite quelques repères plus ou moins fixes : le match du samedi s’il y a droit, mais aussi l’entraîneur, l’agent, la famille ou la petite amie. Ces éléments figurent souvent l’essentiel de l’horizon du joueur : dès ses années de formation, il lui est conseillé de ne pas se disperser et de rester concentré sur l’apprentissage d’un métier qui laisse énormément de déçus sur le carreau.
Acteurs. A la veille de leur déplacement de ce samedi au stade Félix-Bollaert de Lens, on est allé demandé à plusieurs joueurs de l’OGC Nice de nous expliquer comment ils appréhendaient l’un des acteurs de leur vie - ils ont d’ailleurs pu choisir lequel : en gros, on a demandé au joueur ce qu’il en attendait, et ce qu’il estimait lui devoir en retour. Pourquoi Nice ? Parce que le club fait un bon début de saison (nul 0-0 à Paris, Saint-Etienne et Bordeaux battus au stade du Ray : le club est aujourd’hui douzième, à deux points de la troisième place) et parce que le joueur niçois évolue sans la pression médiatique qui écrase Marseille, Paris ou Lyon, ce qui lui permet de s’exprimer sans crainte ni arrière-pensée.
Le coéquipier. Vu par Julien Sablé, 30 ans, milieu.
«Je suis très proche de Didier Digard (24 ans) et Anthony Mounier (23 ans). Ils m’apportent de l’insouciance, de la fraîcheur, mieux que le Botox. On adore le foot. On en parle sans arrêt. Je me vois à leur âge. Après un échec, ils sont tentés d’en rajouter à l’entraînement : c’est humain, le mec a la rage, c’est un moyen de reprendre la main. Mais le foot, c’est le samedi. Pas avant. Moi, j’essaie de faire passer des messages. Jamais de manière frontale : avec Didier, ça ne passerait pas [sourire].
«J’ai perdu ma mère à 18 ans, j’avais disputé cinq matchs en pro : je n’ai pas fait le deuil, je me suis mis dans le boulot à fond et j’ai zappé mon adolescence. Au fil des saisons, j’ai cherché à montrer une bonne image de moi sans me soucier de savoir si elle me correspondait vraiment. A Saint-Etienne, ça allait : c’était mon club formateur, j’étais le chouchou, et dans ce cas-là , les problèmes que tu crois avoir n’en sont pas. Ça s’est compliqué à Lens en 2007 : dans un vestiaire rempli d’internationaux, mes performances sont apparues en décalage avec le statut auquel j’aspirais.
«Dans le foot, la légitimité vient du terrain. Toujours. A Lens, j’ai fini quatre mois à la cave [c’est-à -dire plus ou moins écarté du groupe pro, ndlr]. Au fond, c’était un problème entre moi et moi. J’ai compris que je n’étais pas celui que je voulais être ; un monstre mental qui s’impose en un claquement de doigt partout où il passe. Moi, je suis un joueur de devoir. Je ne vais pas gagner le match tout seul, sur un geste. Mon éventuel leadership, je dois le construire semaine après semaine, à chaque match, à chaque entraînement : il va cheminer lentement dans l’esprit de mes coéquipiers. Je suis un joueur qui a besoin de s’ancrer dans les clubs où je suis sous contrat. J’ai mis du temps à le comprendre.»
Le capitaine. Vu par Drissa Diakité, 25 ans, milieu.
«Je ne pourrais pas être capitaine. Je ne sais pas pourquoi [long silence]. Disons que je n’y pense pas. Je fais mon truc dans mon coin et c’est tout. Le capitaine, il va vers les autres. Il doit être à l’écoute de tout le monde, celui qui joue, celui qui a du mal à s’intégrer, celui qui n’est pas bien… Ça demande de l’attention, Quand je suis arrivé à Nice, en 2005-2006, il y avait un effectif dense et c’était compliqué pour les trois ou quatre gars de mon âge d’être dans le groupe [les titulaires plus les remplaçants, ndlr] d’autant que celui-ci ne comprenait que 16 joueurs, contre 18 aujourd’hui. Sur un effectif de 25 à 30 pros, je ne vous fais pas un dessin.
«Bon. Là -dessus, je me blesse à un adducteur : trois mois sans jouer. Hé bien Olivier Echouafni, le capitaine de l’époque, est venu me parler : "Accroche-toi… Ça va passer tout ça… Tu es jeune, c’est rien…" Je me souviens avoir pensé qu’il jouait au même poste que moi [sourire]. Encourager un jeune, OK : je pourrais et d’ailleurs, ça m’arrive. Mais vous me voyez aller voir un mec qui a 100 matchs en Ligue 1 et lui expliquer ce qu’il a à faire ?
«Ça ne marche pas comme ça. Je ne me vois pas non plus prendre la parole devant les autres joueurs avant le match et leur demander de mettre de l’engagement, de répéter à untel : "Ça c’est ton jeu, tu fais ça…" Je me sens trop timide.
«Et puis il y a le match. Le capitaine, il doit toujours maîtriser, avoir un regard froid par rapport à ce qui se passe. En pratique, il intervient pour calmer ceux qui s’échauffent parce qu’ils ressentent de l’injustice par rapport au match ou à une décision arbitrale. Il faut être tout de suite sur les points chauds, savoir appréhender l’arbitre… Pas évident. Parce qu’à côté, tu as un match à jouer.»
L’entraîneur. Vu par Habib Bamogo, 28 ans, attaquant.
«Un entraîneur n’est pas là pour t’apprendre à jouer au foot. La motricité, l’équilibre, la technique… si tu es arrivé à ce niveau, c’est que tu les as. Par contre, il peut t’apprendre des choses sur le foot. Moi, j’écoute ce que disent des pointures comme Alex Ferguson [coach de Manchester United depuis un quart de siècle, ndlr] ou Laurent Blanc [sélectionneur des Bleus, ndlr] : ils disent que leur job, c’est 80% de psychologie.
«Le mieux, c’est quand ça se passe à froid, dans le bureau de l’entraîneur. Tu donnes ton point de vue, il donne le sien. Je pense qu’il faut maintenir une certaine distance. Certains footeux font du relationnel et en tirent des bénéfices de carrière, faut pas se mentir - on ne transformera jamais un faux joueur en élément efficace, ça non, mais on sait tous qu’un coup de pouce peut parfois être utile.
«Ça m’est arrivé de me mettre chiffon sur le terrain parce que l’entraîneur était menacé pour cause de manque de résultats et que je le trouvais correct, réglo. Tu fais ça inconsciemment, ça peut te porter pendant un ou deux matchs au-delà de tes limites. Mais l’inverse non. Jamais tu n’entres sur le terrain pour perdre, fût-ce pour flinguer un coach que tu n’aimes pas : quand même, tu dois respecter le public, tes coéquipiers, ton métier… Maintenant, je ne dis pas non plus que c’est impossible. Dans le foot, on voit de ces trucs…
«Pour moi, l’entraîneur n’a pas besoin d’exciter ses joueurs. S’il te met sur le terrain, ça va, t’as compris. Le pire, c’est quand il y a des non-dits, des trucs zarbis. T’es footballeur quoi, dix ans ? Ça ne vaut pas le coup de se renier, ou d’accepter des situations tordues pour être à tout prix sur le terrain le week-end. Sinon, comment tu fais pour parler à ton gosse ? Comment tu fais pour susciter le respect ?»
L’agent. Vu par Renato Civelli, 27 ans, défenseur.
« A chaque joueur de voir ce qu’il attend d’un agent. Le mien ? Je lui demande de me trouver des clubs quand ça ne va pas bien - parce que quand ça roule, c’est facile - et c’est tout. Je n’ai pas besoin d’être rassuré. Ni qu’il me parle de mes matchs, ni qu’il m’aide dans le quotidien. C’est aussi lié à mon histoire. Quand j’ai quitté mon village de Petivajo pour faire du foot à Buenos Aires, ma sœur et mon frère étaient déjà sur place pour leurs études : je me suis mis avec eux dans un appartement et même pendant la crise économique de 2000-2001, mon père a toujours pu faire le nécessaire. Je n’ai jamais été seul.
«J’ai pris un agent à 19 ans : à l’époque, il n’avait que deux joueurs sous contrat, moi et son beau-frère. Bien sûr que j’avais des propositions d’agents plus connus et plus prestigieux. Mais celui que j’ai choisi m’explique tout : j’avais commencé des études de comptabilité, le métier de mon père, et je ne vois pas pourquoi le métier de footballeur dispenserait de s’intéresser aux chiffres. Il m’arrive de conseiller à certains joueurs de virer celui qui s’occupe d’eux. Le joueur n’est pas l’employé de l’agent, c’est l’inverse, mais c’est souvent utile de le rappeler.
«Après, un agent va privilégier ses joueurs chers : il prend entre 5% et 10% sur un transfert et 10% de 5 millions, c’est mieux que 10% de 200 000. En Argentine, il y a une spécificité : en plus de se payer sur les transferts [comme en Europe, ndlr], l’agent prend 10% du salaire hors prime. Après, tu peux t’en satisfaire : si tu ne sens pas trop le mec qui s’occupe de toi mais que tu y gagnes, ça fonctionne. Moi, je lui demande d’abord la vérité. En retour, à chaque fois que l’on me contacte directement, je renvoie le club ou l’intermédiaire vers lui. Si tu demandes à ton agent d’être régulier, il faut l’être aussi.»
La compagne. Vue par Anthony Mounier, 23 ans, attaquant.
«Au centre de formation de l’Olympique lyonnais, j’avais remarqué que les joueurs se mettaient très vite en couple. Ce n’est pas une légende. C’est lié aux sacrifices : quand ta carrière est lancée, tu n’as plus forcément le temps de te poser. Après, psychologiquement, c’est dur quand tu es seul. La saison dernière, j’ai changé de club et j’ai enchaîné quatre ou cinq matchs sans jouer : là , tu es un peu dans le noir. Pourtant, il y a eu des joueurs - Didier Digard, Julien Sablé - pour me dire de m’accrocher.
«Je suis pacsé. Ma copine a fait quatre années de Sup de Co à Montpellier : cette année, elle est en Master 2 de gestion internationale de fortune. Quand elle était à Montpellier, je jouais à Lyon : les allers-retours en voiture, la solitude le soir quand tu rentres… Là , tu comprends combien la présence de l’autre est précieuse. Les soirs de matchs ? Impossible de s’endormir avant 3 ou 4 heures du matin. Que tu aies gagné ou perdu ne change rien : de toute façon, ta réflexion est strictement individuelle. Je suis là , devant la télé, à repenser à la manière dont j’ai négocié tel ballon, est-ce que je pouvais mieux le jouer, etc. Je sais que j’ai tendance à me mettre trop de pression par rapport à ça : le match, je ne peux pas le rejouer.
«Quand ma copine me raconte sa journée, je coupe avec ça. Je crois que son travail est moins routinier que le mien : elle voit des gens différents tous les jours. Après, je ne crois pas avoir raté quoi que ce soit. Tout ce qui m’arrive, ça fait des années que je m’y prépare, donc je suis prêt. La seule chose qui me manque, parfois, c’est l’anonymat - et encore, je ne suis pas Cristiano Ronaldo (sourire). On m’aborde souvent dans les magasins ou au restaurant… C’est gentil, je ne dis pas, mais, parfois, tu aspires à être tranquille.»
Grégory SCHNEIDER
Libération